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Homicide involontaire : agent public coupable pénalement mais pas responsable civilement

Cour de cassation, chambre criminelle, 18 novembre 2014, N° 13-86284

Un fonctionnaire (ou un élu) reconnu coupable d’homicide involontaire peut-il engager son patrimoine personnel pour indemniser les victimes ?

 [1]

Non. La Cour de cassation censure systématiquement les arrêts de cour d’appel qui statuent en sens contraire. En effet l’agent d’un service public n’est personnellement responsable des conséquences dommageables de l’acte délictueux qu’il a commis que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions. Or s’agissant d’infractions non intentionnelles, la Cour de cassation considère qu’aucune faute détachable ne peut être reprochée à un agent public qui a agi dans l’exercice de ses fonctions, et ce quelle que soit la gravité de l’imprudence commise. En l’espèce deux infirmières d’un hôpital psychiatrique avaient involontairement causé la mort d’un patient agité en tentant de le neutraliser avec un drap passé autour du cou. Les juges d’appel les avaient condamnées au pénal et au civil. La Cour de cassation confirme la responsabilité pénale des deux infirmières mais pas leur responsabilité civile, reprochant aux juges d’appel de ne pas avoir caractérisé à l’encontre des prévenues une faute personnelle détachable de leurs fonctions.

Un patient, hospitalisé d’office pour des troubles psychiatriques, se montre particulièrement agité lors d’une nuit dans sa chambre d’isolement. L’infirmière de garde tente en vain de lui administrer un traitement oral mais reçoit plusieurs coups. Une aide-soignante vient à son aide. Les deux collègues arrivent finalement à maîtriser au sol l’intéressé en s’allongeant sur son bassin et ses jambes et en utilisant un drap enroulé autour de son bras et passé autour de son cou afin de lui administrer un calmant. Mais le patient fait un malaise et décède par suffocation.

Poursuivies pour homicide involontaire, les deux infirmières sont relaxées en première instance. Elles sont condamnées en appel : si les juges reconnaissent qu’elles ont répondu à leurs obligations professionnelles d’intervention auprès d’un patient en état de souffrance et très agité, ils leur reprochent d’avoir décidé de lui administrer un médicament dans la chambre d’isolement malgré le désaccord d’une autre infirmière et de ne pas avoir appelé du renfort. En outre, ajoutent les juges, face aux violences commises par le patient, les infirmières ont procédé à un acte de contention réalisé avec maladresse et imprudence dès lors que le drap enroulé autour du poignet et passé autour du cou de la victime, face contre terre, a provoqué une incapacité ventilatoire par suffocation entraînant son décès.

La Cour de cassation n’y trouve rien à redire : "en l’état de ces énonciations, qui établissent que les prévenues n’ont pas accompli les diligences normales, compte tenu de la nature de leurs fonctions ainsi que du pouvoir et des moyens dont elles disposaient, et d’où il résulte que la faute commise par elles a directement causé le dommage, la cour d’appel a justifié sa décision".

Mais l’intérêt principal de l’arrêt se situe ailleurs : sur le plan civil, les juges d’appel avaient en effet retenu leur compétence pour condamner personnellement les deux infirmières à indemniser les parties civiles. La Cour de cassation censure cette position sur le visa de la loi des 16-24 août 1790 :

"l’agent d’un service public n’est personnellement responsable des conséquences dommageables de l’acte délictueux qu’il a commis que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions".

Dès lors "en se reconnaissant ainsi compétente pour statuer sur la responsabilité civile de Mmes X...et Y..., infirmière et aide soignante au centre hospitalier spécialisé de Colson ayant agi dans l’exercice de leurs fonctions, sans rechercher, même d’office, si la faute imputée à celles-ci présentait le caractère d’une faute personnelle détachable du service, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé".

Il appartiendra ainsi à la cour d’appel de renvoi de se prononcer sur le caractère personnel de la faute. Mais en l’état de la jurisprudence de la Cour de cassation, celle-ci devrait être logiquement écartée.

Ainsi dans un arrêt publié au bulletin [2], la Cour de cassation a censuré une cour d’appel qui avait condamné sur ses deniers personnels un gynécologue reconnu coupable d’homicide involontaire pour ne pas s’être rendu à la clinique pour examiner lui-même une patiente alors qu’il avait été alerté de l’état critique du bébé et de la mère. Les juges d’appel avaient considéré que la faute imputée au médecin était d’une telle gravité qu’elle permettait de retenir la compétence de la juridiction judiciaire pour statuer sur les intérêts civils et ne pouvait être assimilée à une simple faute de service. Les juges du fond avaient donc bien caractérisé une faute personnelle mais la Cour de cassation avait cassé l’arrêt sur le visa de la loi des 16-24 août 1790, considérant que "les fautes dont le prévenu, agent du service public hospitalier, a été déclaré responsable ne peuvent être considérées comme détachables de ses fonctions".

Les règles sont identiques pour les fonctionnaires territoriaux ou les élus locaux condamnés pour homicide ou blessures involontaires : quelle que soit la gravité des fautes d’imprudence qui leur sont reprochées, les juridictions pénales sont incompétentes pour les condamner au civil à indemniser les victimes sur leurs deniers personnels. Seule la responsabilité de la collectivité peut le cas échéant être recherchée devant les juridictions administratives, à supposer qu’une faute ou un défaut d’entretien normal d’un ouvrage public puisse lui être imputée.

Cour de cassation, chambre criminelle, 18 novembre 2014, N° 13-86284

[1Photo : © Elena Elisseeva

[2Cass crim 13 février 2007 N° 06-82264