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Suicide d´un agent : le maire responsable ?

Cass crim 9 octobre 2007 N° de pourvoi : 06-89093 Non publié au bulletin

Un maire peut-il être rendu responsable de la mort d´un agent sous dépendance alcoolique qui s´est suicidé juste après s´être vu attribué une note de 0/20 ?

Un agent d´entretien d’une commune du Vaucluse (moins de 1000 habitants) met fin à ses jours par arme à feu. Sa compagne, estimant que ce décès par suicide est intimement lié au harcèlement moral subi par son compagnon dépose plainte pour harcèlement moral à l´encontre du maire de la commune. Elle remet aux enquêteurs une lettre de son compagnon, dans laquelle celui-ci, déclare vouloir abandonner le bras de fer qui l´oppose au maire. Elle expose en outre que depuis huit ans les conditions de travail de son conjoint se se sont dégradées et insiste plus particulièrement sur l´impact de la note de 0/20 attribuée par l´employeur pour l´année 2003 et portée à sa connaissance la veille de son décès.

Pour sa défense le maire de la commune dénonce l´alcoolisme, le travail incorrectement accompli et l´insubordination de la victime depuis plusieurs années. L´élu nie toute volonté de nuire à son agent qu´il savait malade et suivi médicalement et soutient que la note attribuée de 0/20 n´était que provisoire et destinée à le faire réagir. Sans nier l´addiction de son conjoint à l´alcool, lequel était traité pour sa dépendance alcoolique depuis début 2003 , la plaignante fait pour sa part observer que celui-ci n´a jamais été hospitalisé ou suivi pour des problèmes psychologique ou psychiatriques. Aux termes de l´enquête de gendarmerie, le maire est renvoyé devant le tribunal correctionnel pour harcèlement moral.

Condamnation en première instance

Le tribunal correctionnel reconnaît l´élu coupable. Pour entrer en voie de condamnation, les magistrats relèvent que :
1° L´élu a saisi courant septembre 2002, soit 2 mois après une précédente demande abandonnée, le conseil de discipline d´une nouvelle demande de révocation de l´agent totalement disproportionnée aux faits reprochés.

2° Il a « fait interdiction à son agent, victime d´un accident du travail, le 12 août 2003, d´utiliser un véhicule de sorte que ce denier était amené à travailler avec une brouette dans des conditions incompatibles avec sa récente blessure et vexatoire pour celui-ci qui s´était toujours délacé dans le village avec son véhicule. »

3° Il « s´est emparé de tout fait étranger à l´exécution du travail susceptible d´être reproché à son agent, telle la divagation du chien de [sa compagne] pour la qualifier disciplinairement. »

4° « Il a fait montre à répétition à son égard d´un esprit tatillon qu´il a enfin nié jusqu´à sa personnalité par l´attribution d´une note administrative provisoire pour l´année 2002 de 0/20 »
Et les magistrats de conclure que ce faisant le maire « a pris à l´encontre d´Alain Z... un ensemble de mesures vexatoires, injustes et inappropriées trouvant leur justification dans sa volonté de se séparer d´un agent qui ne lui convenait plus alors même que, connaissant sa personnalité particulièrement fragile en cours de sevrage alcoolique, il ne pouvait ignorer les conséquences que pouvaient entraîner ses agissements répétés ».

Relaxe en appel et en cassation

C´est à une toute autre lecture des évènements que se livrent les magistrats de la Cour d´appel qui relaxent l´élu :
1° La saisine à répétition du conseil de discipline n´était nullement téméraire mais justifié par de très nombreux incidents (refus de l´agent d´exécuter les ordres reçus, consommation d´alcool pendant les heures de travail...). De fait si le conseil de discipline a rejeté la demande de révocation, ce n´est non pas parce que les faits dénoncés n´étaient pas établis mais parce qu´il étaient couverts par la loi d´amnistie de 2002. « Cette démarche, qui relève incontestablement de son pouvoir hiérarchique (...) ne paraît pas disproportionnée dès lors que les griefs visés étaient pour partie ceux qui avaient conduit l´édile à octroyer une note de 6/20 à l´agent en 2000, note précisément confirmée par le conseil de discipline saisi par l´agent ». Ce d´autant plus que « la réalité des griefs les plus importants reprochés par le maire à la victime » (la consommation de boissons alcoolisées et la désobéissance aux ordres donnés) « ne fait aucun doute au vu » des nombreux témoignages concordants recueillis.

2° Si le maire a fait interdiction à la victime d´utiliser un véhicule après son accident du travail du 12 août 2003 ce n´est nullement dans un but vexatoire dès lors que « cette disposition a été prise afin de préserver les tiers d´un éventuel accident eu égard à l´état physique et mental très diminué de l´agent » et que « le principe de précaution appliqué par le maire ne saurait être regardé comme fautif ».

3° S´il peut être reproché au maire d´avoir menacé l´agent de sanctions disciplinaire à la suite de la divagation de la chienne de sa compagne alors que le maire « ne pouvait effectivement pas s´emparer de cet incident pour le qualifier disciplinairement », cet élément à lui seul n´est pas suffisant pour caractériser le délit de harcèlement moral.

4° Si l´attribution d´une note de 0/20 a été communiquée à l´agent « par la secrétaire du maire, sans explication du maire et alors même qu´il était encore en arrêt maladie et donc fragilisé » et si « l´incidence ou la portée morale de cette notation a été à l´évidence méconnue par le maire, elle n´est pas pour autant motivée par un désir d´atteindre Alain Z... au plus profond de lui-même ». « Il convient de relever en effet que pendant plusieurs années, parallèlement aux nombreux avertissements adressés à l´agent, sa notation poursuivait une évolution positive, le maire entendant ainsi inciter son agent à une plus grand motivation. Le maire a par ailleurs toujours pris soin de ne jamais dénoncer « publiquement le comportement de son agent, les membres du conseil municipal confirmant que la teneur des nombreuses discussions concernant l´agent ayant eu lieu au cours des réunions du conseil municipal n´a jamais été retranscrites afin de préserver l´intégrité d´Alain Z... ».

Et les magistrats de conclure que si l´agent « a effectivement fait l´objet de remarques répétées », « force est de constater que celles-ci n´ont pas été injustifiées ni inappropriées de la part d´un supérieur hiérarchique (...) La possible mauvaise gestion par [l´élu] du conflit qui l´opposait à [l´agent] (...) ne peut être considérée comme la traduction d´une volonté indicible de ce dernier de se débarrasser d´un agent à l´état de santé physique et moral incontestablement diminué en portant atteinte à sa dignité et en faisant entreprise à son égard de déstabilisation et d´acharnement (...). Ainsi, aucun élément n´établit que la réelle altération de la santé physique ou mentale d´Alain Z... soit la conséquence directe des agissements du maire » alors que « l´intéressé suivait un traitement aux fins de désintoxication alcoolique » et que « ce sevrage n´était accompagné d´aucun suivi psychologique susceptible de pallier la survenance de décompensation ou de dépression ».

La compagne de l´agent se pourvoit en cassation en relevant principalement que la Cour d´appel ne pouvait justifier les agissements de l´élu par des faits reprochés au salarié entre 1994 et 2001 dès lors que ceux-ci étaient couverts par la loi d´amnistie du 17 mai 2002 et ne pouvaient donc être évoqués lors des débats.
La Cour de cassation confirme la relaxe de l´élu dès lors que « la cour d´appel, qui n´a pas méconnu l´article 11 de la loi, en date du 6 août 2002 portant amnistie a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé que la preuve de l´infraction reprochée n´était pas rapportée à la charge du prévenu ».