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Utilisation de la messagerie au travail : courriel professionnel ou correspondance privée ?

Cour d’appel de Rennes 14 janvier 2010 n°08/02209

Un directeur général peut-il verser au dossier d’un fonctionnaire un courriel polémique dont il n’était pas destinataire ?

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Comme chaque année le directeur général de cette ville bretonne demande à ses directeurs de division de collationner les besoins et de les traduire en propositions budgétaires. Conformément à cette directive, le directeur informatique adresse par courriel une note à l´ensemble des chefs de service en leur demandant de lui communiquer leurs prévisions d´organisation de service et les besoins en matière d´informatique qui peuvent en découler.

En réponse, un chef de service accompagne son courriel de propos critiques à l´égard du directeur général. Ce dernier, informé de la teneur du courriel par un agent qui en a vu une copie sur un bureau, exige du destinataire du courriel de lui en remettre une copie pour la verser au dossier du fonctionnaire.

Un mois plus tard ce dernier fait l´objet d´une procédure disciplinaire à la suite de l´envoi de photocopies de bandes dessinées qui ont été mal appréciées par la collègue de travail à qui elles étaient destinées. Prenant connaissance de son dossier, le fonctionnaire constate qu´y figure la réponse qu´il avait adressée au seul responsable informatique.

Estimant que ce courriel revêtait un caractère privé, le fonctionnaire porte plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d´instruction pour atteinte au secret de la correspondance par une personne dépositaire de l´autorité publique ! Une information judiciaire est ouverte en septembre 2005. Le directeur général, entendu dans un premier temps comme témoin assisté, ne conteste pas les faits mais dénie tout caractère privé au courriel en question dès lors qu’il s’agissait de la réponse d´un chef de service à un autre chef de service concernant des prévisions budgétaires.


Mise en examen du directeur général

Le directeur général n´en est pas moins mis en examen puis renvoyé devant le tribunal correctionnel. Pour sa défense il relève que :

1° "les courriers électroniques échangés au moyen d´ordinateurs professionnels revêtent en principe, un caractère professionnel, sauf identification contraire de l´employé, étant précisé qu´en l´espèce ni l´objet du courriel - re : budget - ni son contenu ne sont de nature privée" ;

2° "s’agissant plus spécifiquement de courriels échangés au sein d´une administration, il revêtent un caractère administratif et à ce titre sont communicables et donc non soumis à la protection instituée par l´article 432-9 alinéa 1 du code pénal" ;

3° "en tout état de cause, le fait d´avoir versé le courriel litigieux au dossier administratif de la partie civile ne constitue pas la révélation visée à l´article 432-9 du code pénal compte tenu de la confidentialité à laquelle se trouve soumis le dossier administratif d´un agent public".


Condamnation en première instance

Les magistrats du tribunal correctionnel de Quimper ne se laissent pas convaincre par ces arguments et condamnent le directeur général à une peine de 3000 euros d´amende avec sursis (TGI Quimper 17 juillet 2008 n°1312/2008) . Il est tout de même fait droit à la demande du prévenu visant à la non inscription de la condamnation à son casier judiciaire n°2.

Les magistrats relèvent en effet que :

1° "toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance" ;

2° "un courrier électronique, dès lors qu´il est adressé par une personne nommément désignée à une personne elle aussi nommément désignée constitue bien une correspondance".

3° "Le caractère privé d´une correspondance doit s´apprécier au regard de son objet et de la volonté des intéressés". Or si, en l´espèce, le chef de service n´a pas « spécifié un objet particulier se bornant à appuyer sur la touche répondre apparaissant sur l´écran de son ordinateur (...) il est intéressant de noter que M. V... n´a pas souhaité activer la touche répondre à tous mais a volontairement cantonné sa réponse au seul expéditeur du message initial ».

4° Le chef de service a "séparé sa réponse en deux parties biens distinctes, l´une (...) contenant des propos libres et se voulant humoristiques sur le fonctionnement des services, et l´autre (...) contenant les prévisions budgétaires pour son service présentées en termes neutres et administratif".

5° "Il ressort de l´ensemble de ces éléments que si l´objet du courriel litigieux ne laissait pas présager du caractère potentiellement privé de son contenu, en revanche l´intention tant de l´expéditeur que du destinataire d´attribuer à une partie de ce courriel un caractère privé ne fait aucun doute" !

6° L´argument du prévenu consistant à affirmer que les deux parties du courriel ne pouvaient être éditées l´une sans l´autre dans la mesure où il était tout-à-fait possible pour Monsieur J... (...) d´éditer seulement la partie professionnelle du courriel (...). Par voie de conséquence l´argument (...) concernant la nature administrative et donc communicable du courriel ne peut être retenu, seule justement la partie professionnelle dudit courriel pouvant revêtir une telle nature".

7° Le "seul fait [pour le directeur général] d´avoir ordonné [au responsable informatique] de lui remettre une copie du courriel (...) constitue la révélation du contenu d´une correspondance à caractère privé visée à l´article 432-9 du code pénal. Au demeurant, le fait de verser cette correspondance au dossier administratif de son expéditeur constitue a fortiori cette révélation dans la mesure où nonobstant la nature confidentielle de ce dossier les supérieurs hiérarchiques de M. V..., seuls détenteurs de ce dossier, n´étaient ni expéditeurs ni destinataires du courriel".


Relaxe en appel

La Cour d’appel de Rennes [2] infirme le jugement et relaxe le directeur général.

La Cour relève que le délit de détournement de correspondance prévu et réprimé par l’article 432-9 du code pénal ne peut pas être caractérisé en l’espèce. En effet "les notions de détournement, suppression ou ouverture de correspondance supposent une intervention de l’auteur de l’interception pendant le délai et le parcours de transmission de la correspondance de son expéditeur à son destinataire". Un tel geste "suppose encore une clandestinité de l’action et une indifférence à la nature de la correspondance, dont le contenu n’est pas encore connu, l’interception étant réalisée en raison de la seule qualité ou identité des correspondants".

Or tel n’est pas manifestement le cas en l’espèce puisque "le courrier a été obtenu en copie auprès du destinataire, au vu et au su de celui-ci".

Il reste que l’article 432-9 du code pénal réprime aussi la révélation de correspondance. C’est à cet égard que les faits peuvent être répréhensibles.

A cet égard la Cour d’appel écarte l’argument du prévenu fondé sur le caractère confidentiel du dossier. En effet "la confidentialité signifie seulement que ce dossier n’est accessible qu’à un nombre déterminé de personnes habilitées". Mais cette limite "dépasse néanmoins la relation bilatérale d’origine des correspondants, qui n’ont pas la possibilité de contrôler ni les conditions de la prise de connaissance de leur échange, ni la qualité des personnes qui y auront accès". Ainsi il y a bien révélation de correspondance.

Mais la Cour ne s’arrête pas à ce constat et s’attache à analyser la nature du courriel.

A cet égard, la Cour pose le principe qu’ayant été rédigé et saisi sur un site professionnel non réglementé, le courriel litigieux "est a priori de caractère professionnel, sauf à ce que son contenu intéresse de manière évidente la vie privée de son auteur dans les aspects que la loi protège de manière privilégiée, à savoir la santé, le patrimoine, et la vie affective ou sexuelle".

Si la Cour d’appel concède que le courriel litigieux présente un caractère mixte, il reste que la partie professionnelle du courriel (l’expression des besoins en informatique) a été le prétexte à l’expression des opinions personnelles du rédacteur relatives à l’organisation du service auquel il appartient.

Et la Cour de conclure "qu’ainsi, indépendamment du ton employé et de la restriction d’une réponse faite au seul expéditeur d’un message général, la correspondance litigieuse est bien d’essence professionnelle".

Cour d’appel de Rennes 14 janvier 2010 n°08/02209

[1Photo : © prism68

[2Cour d’appel de Rennes 14 janvier 2010 n°08/02209