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Durée excessive de procédures et droit à réparation du justiciable

Tribunal des conflits, 8 juillet 2013, N° 13-03904

Un justiciable qui demande réparation du préjudice résultant d’une durée excessive de procédures introduites devant les deux ordres de juridiction peut-il indifféremment saisir les juridictions judiciaires ou administratives ?

 [1]


Non : l’action doit être portée devant l’ordre de juridiction qui s’est prononcé en dernier sur le fond. La juridiction saisie est alors compétente pour porter une appréciation globale sur la durée de la procédure devant les deux ordres de juridiction.

En décembre 1993 une employée dans une société d’économie mixte (SEM) fait l’objet d’un licenciement pour motif économique à la suite de la résiliation de la concession accordée à cette société par la commune. 5 ans plus tard, elle engage une action devant le conseil des prud’hommes à l’encontre de son employeur et des sociétés qui lui ont succédé ; parallèlement, elle engage une autre action contre la commune afin d’obtenir réparation des préjudices liés à son licenciement, qu’elle estime causés par le concours des fautes commises par les sociétés et par la personne publique.

Deux contentieux parallèles voient ainsi le jour : l’un devant les juridictions judiciaires, l’autre devant les juridictions administratives.

En octobre 2002, le tribunal administratif rejette la demande de l’intéressée mais en juin 2006 la cour administrative d’appel de Marseille l’accueille, ce que confirme le Conseil d’Etat en octobre 2008. Cela fait déjà près de 15 ans que l’intéressée a été licenciée...

De leur côté les juridictions judiciaires ne se montrent pas plus rapides :

 en novembre 2001 le conseil des prud’hommes de Marseille accueille la demande de la requérante ;

 en mars 2004, la cour d’appel d’Aix-en-Provence infirme la décision des premiers juges ;

 en octobre 2006, la Cour de cassation annule l’arrêt de la cour d’appel ;

 en septembre 2007, la cour d’appel de renvoi sursoit à statuer jusqu’à ce que la juridiction administrative eût définitivement statué sur la responsabilité de la commune ;

 en avril 2009, après la décision de non-admission du pourvoi par le Conseil d’Etat, la cour d’appel condamne finalement les sociétés mises en cause à réparer les préjudices matériel et moral subis par l’intéressée, déduction faite des sommes déjà mises à la charge de la commune par la décision de la cour administrative d’appel pour indemniser les mêmes préjudices.

Commence alors un nouveau marathon judiciaire : la requérante saisit en effet le Conseil d’Etat d’une demande d’indemnisation des préjudices qui résulte de la durée excessive de ces procédures.

Mais lui fallait-il saisir les juridictions judiciaires ou les juridictions administratives ????

L’occasion pour l’intéressée de découvrir le Tribunal des conflits qui arbitre des conflits de compétence entre les deux ordres de juridiction. Avec ces précisions de la haute-juridiction :


 "lorsque la durée totale de la procédure qu’un justiciable estime excessive résulte d’instances qui ont dû être introduites devant les deux ordres de juridiction, chacun compétent pour connaître d’une partie du litige, l’action en réparation du préjudice allégué doit être portée devant l’ordre de juridiction qui s’est prononcé en dernier sur le fond" ;


 "la juridiction saisie de la demande d’indemnisation, conformément aux règles de compétence et de procédure propres à l’ordre de juridiction auquel elle appartient, est compétente pour porter une appréciation globale sur la durée de la procédure devant les deux ordres de juridiction".

Mauvaise pioche donc pour l’intéressée qui aurait dû saisir les juridictions judiciaires en indemnisation du préjudice qu’elle impute à la durée "prétendument excessive" des instances tendant à la réparation des conséquences dommageables de son licenciement... Plus de 20 ans après le licenciement litigieux une nouvelle procédure en perspective !

Tribunal des conflits, 8 juillet 2013, N° 13-03904

[1Photo : © Gary Blakeley