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Décès d’une adolescente diabétique placée dans un foyer : poursuites pénales et prescription quadriennale

Conseil d’État, 17 mars 2014, N° 356577

Les poursuites pénales engagées pour omission de porter secours contre le directeur d’un foyer départemental interrompent-elles la prescription quadriennale contre le département ?

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Uniquement si les poursuites s’accompagnent d’une constitution de partie civile de la victime (ou de ses ayants droit). En effet ni l’engagement de l’action publique par le parquet, ni l’exercice par le condamné ou par le ministère public des voies de recours contre les décisions auxquelles cette action donne lieu n’interrompent la prescription quadriennale contre la collectivité. Ainsi un département est fondé à opposer la prescription à la famille d’une adolescente diabétique décédée d’un coma au cours d’une fugue dès lors que la demande indemnitaire a été présentée plus de quatre ans après que la juridiction judiciaire se soit déclarée incompétente pour statuer sur l’action civile. Peu importe que cette décision ait fait l’objet d’un pourvoi par le directeur du foyer condamné dès lors que l’exercice de cette voie de recours ne portait que sur l’action publique et la reconnaissance de culpabilité de l’intéressé (et non sur l’action civile et la demande de dommage-intérêts).

Une adolescente diabétique, placée dans un foyer départemental de l’enfance, décède des suites d’un coma provoqué par une carence en insuline au cours d’une fugue.

Des poursuites pénales sont engagées contre le directeur et un membre du personnel de l’établissement pour non-assistance à personne en danger. La famille se porte partie civile.

En novembre 2001 la cour d’appel de Rennes condamne le directeur à six mois d’emprisonnement avec sursis pour avoir omis de porter secours à l’adolescente et se déclare incompétente pour connaître de l’action en réparation des préjudices des parties civiles, ce que confirme la Cour de cassation en juin 2002 : s’agissant d’une faute de service, seule la responsabilité administrative de la collectivité publique pouvait en effet être recherchée.

Mais ce n’est qu’en mars 2006 que la famille demande au département l’indemnisation de son préjudice. Le département lui oppose la prescription quadriennale des créances sur les collectivités publiques.

Le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel de Nantes confortent le département dans son analyse. L’occasion pour le Conseil d’Etat d’apporter d’utiles précisions :

 "lorsque la victime d’un dommage causé par des agissements de nature à engager la responsabilité d’une collectivité publique dépose contre l’auteur de ces agissements une plainte avec constitution de partie civile, ou se porte partie civile afin d’obtenir des dommages et intérêts dans le cadre d’une instruction pénale déjà ouverte, l’action ainsi engagée présente, au sens des dispositions précitées de l’article 2 de la loi du 31 décembre 1968, le caractère d’un recours relatif au fait générateur de la créance que son auteur détient sur la collectivité et interrompt par suite le délai de prescription de cette créance" ;

 "en revanche, ne présentent un tel caractère ni l’engagement de l’action publique ni l’exercice par le condamné ou par le ministère public des voies de recours contre les décisions auxquelles cette action donne lieu en première instance et en appel".

Autrement dit, en cas de plainte au pénal contre un fonctionnaire ou un élu, seule une constitution de partie civile interrompt la prescription quadriennale dont peut se prévaloir la collectivité publique. En revanche ni les poursuites engagées par le ministère public, ni les voies de recours exercées par ce dernier ou par les personnes poursuivies ne sont interruptives de prescription.

Ainsi, en l’espèce, le délai de la prescription de la créance, qui avait commencé à courir le 1er janvier 1999 [2] a été interrompu par la constitution de partie civile de la famille dans le cadre de l’action pénale engagée contre le directeur et un membre du personnel du foyer. Cette interruption a pris fin avec l’arrêt du 20 novembre 2001 par lequel la cour d’appel de Rennes a déclaré la juridiction judiciaire incompétente pour réparer le préjudice des requérants. Un nouveau délai de quatre ans a donc recommencé à courir le 1er janvier 2002 lequel était expiré lorsque les intéressés ont saisi d’une demande indemnitaire le département le 20 mars 2006. L’exercice d’un pourvoi en cassation par le directeur du foyer est sans incidence dès lors que ce recours ne concernait que l’action publique et n’était donc pas nature à interrompre à nouveau le délai de prescription.

Conseil d’État, 17 mars 2014, N° 356577

[1Photo : © Pulsar75

[2Premier jour de l’année civile suivant celle au cours de laquelle le dommage s’est produit.