
Cour de cassation, chambre criminelle, 22 janvier 2014, N° 13-80759
Le délit de favoritisme peut-il être caractérisé en cours d’exécution du marché public ?
Oui : le délit de favoritisme peut être caractérisé au stade de la passation comme en cours d’exécution du marché, l’article 432-14 du code pénal ne précisant pas à quel moment l’attribution de l’avantage injustifié doit intervenir pour caractériser l’infraction. Se rend ainsi coupable de favoritisme, le maire qui, souhaitant privilégier l’emploi sur la commune, retient l’offre moins chère d’un imprimeur local pour la confection du bulletin municipal mais qui, en cours d’exécution du marché, lui demande une impression en couleur alors que cette option, initialement écartée, renchérissait le coût de la prestation et rendait nécessaire une remise en concurrence.
Tout juste élu, un maire veut redonner un coup de jeune au bulletin municipal de la commune (4500 habitants) . Un appel d’offres est lancé. Deux entreprises répondent : la première est locale, la seconde est implantée à l’autre bout de la France. L’offre de l’entreprise locale est plus chère pour une impression en quadrichromie mais moins chère pour une version en noir et blanc.
C’est cette seconde option qui est retenue et donc l’offre de l’entreprise locale. Mais quelques jours avant l’impression, les élus se ravisent et demande à l’imprimeur local une impression en couleur...
L’adjoint au maire demande à l’imprimeur de gonfler les factures initiales (d’un montant total de 1800 euros Hors taxe) et de produire deux facturations séparées pour "que ça passe en comptabilité".
Bien que réticent, l’imprimeur s’exécute.
L’opposition municipale dénonce les faits au procureur de la République ce qui vaut au maire et à l’adjoint des poursuites pour favoritisme, l’imprimeur étant pour sa part poursuivi pour recel...
Le tribunal correctionnel de Saint-Etienne condamne les deux élus à 2000 euros d’amende et l’imprimeur à 1000 euros d’amende. Sur appel du maire, la cour d’appel de Lyon confirme la condamnation. Pour sa défense l’élu faisait principalement valoir que le délit de favoritisme ne pouvait être retenu au stade de l’exécution du marché. L’argument est écarté :
"peu importe au vu (de l’article 432-14 du code pénal) que l’avantage injustifié ait été attribué en dehors de tout appel d’offres lorsque cette procédure doit être suivie, au cours de la procédure d’appel d’offres ou après celle-ci, lors de la mise à exécution des dispositions prises sur l’appel d’offres, l’article ne précisant pas à quel moment l’attribution de l’avantage injustifié doit intervenir pour caractériser l’infraction".
Les quatre moyens soulevés par l’élu à l’appui de son pourvoi sont écartés d’un revers de manche par la Cour de cassation qui s’en remet à l’appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause par les juges du fond.
Cour de cassation, chambre criminelle, 22 janvier 2014, N° 13-80759
Ce qu'il faut en retenir
– Le délit de favoritisme (passible de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende) sanctionne l’octroi d’un avantage injustifié à une entreprise par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public. Le délit peut être caractérisé au stade de la passation du marché public comme au stade de son exécution (notamment en cas d’avenant modifiant substantiellement l’économie du marché).
– La volonté compréhensible des élus de privilégier les emplois locaux est difficilement conciliable avec le principe de l’égalité de traitement des candidats dans les marchés publics (tout comme il est hasardeux juridiquement de vouloir favoriser l’attribution d’un marché public à une entreprise parce qu’elle est française). Ce qui ne veut pas dire bien entendu qu’il est impossible de retenir une entreprise locale mais son offre doit être effectivement la mieux-disante.
Réferences
– Article 432-14 du code pénal