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Maître-nageur municipal exposé à un taux de chloramine anormalement élevé : la commune condamnée

Cour Administrative d’Appel de Versailles, 30 décembre 2013, N° 11VE00137

Une commune peut-elle être condamnée à réparer les souffrances d’un agent provoquées par les effets indésirables d’un traitement médical rendu nécessaire pour soigner une maladie d’origine professionnelle ?

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Oui tranche la cour administrative d’appel de Marseille dès lors que les souffrances subies par l’agent (ici des problèmes de hanche ayant nécessité une hospitalisation) ont été causées par la prise de médicaments (à base de corticoïdes) visant à soigner sa maladie d’origine professionnelle (en l’espèce asthme d’un maître-nageur provoqué par un taux anormalement élevé de chloramine dans la piscine municipale).

En 1995 un maître-nageur affecté à la surveillance des bassins d’une piscine municipale souffre de gênes respiratoires et de crises d’asthme, répétitives et sévères, nécessitant des hospitalisations régulières. En cause : l’eau des bassins présente un taux anormalement élevé de chloramine [2].

A partir du mois de novembre 1998 l’intéressé enchaîne congés de longue maladie et mi-temps thérapeutiques jusqu’à ce qu’il soit déclaré définitivement inapte aux fonctions de maître-nageur sauveteur en avril 2000. Cinq ans plus tard, son affection est reconnue comme ayant le caractère de maladie professionnelle contractée dans le cadre de ses fonctions.

En 2007 il est admis admis à faire valoir ses droits à la retraite pour invalidité : alors qu’il était jusqu’ici un sportif accompli, il ne peut plus se déplacer qu’avec une canne ou en fauteuil roulant. En effet pour traiter ses problèmes d’asthme, il a dû prendre un traitement à base de corticoïdes qui a généré un problème de hanche...

L’agent formule en vain une demande indemnitaire préalable auprès de la commune.

Le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise fait partiellement droit à sa demande, et condamne la commune à lui verser 36 000 euros.

Le rappel des règles

La cour administrative d’appel de Marseille confirme le principe de la responsabilité sans faute de la commune. Elle rappelle à cette occasion que la règle du forfait de pension ne fait pas "obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l’accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d’agrément, obtienne de la collectivité qui l’emploie, même en l’absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l’atteinte à l’intégrité physique, ni à ce qu’une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l’ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l’accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l’état d’un ouvrage public dont l’entretien incombait à celle-ci".

Une question de procédure

Les magistrats d’appel jugent irrecevable le moyen tiré de la faute de la commune pour des raisons de pure forme : en effet en première instance, l’agent avait recherché à titre principal, la responsabilité de la commune sur le terrain de la responsabilité sans faute, et n’avait recherché la responsabilité pour faute de la commune qu’à titre subsidiaire. Il ne pouvait donc en appel inverser ces fondements en demandant à titre principal que soit engagée la responsabilité pour faute de la commune. Il s’agit en effet là d’une cause juridique nouvelle...

Responsabilité sans faute de la commune

Par contre sur le terrain de la responsabilité sans faute, l’agent peut bien prétendre à une indemnisation complémentaire à la règle du forfait de pension, non seulement au titre des préjudices extrapatrimoniaux résultant de sa maladie professionnelle mais également au titre des préjudices patrimoniaux.

S’agissant des préjudices extrapatrimoniaux l’agent a droit à réparation :

 à hauteur de 16 000 euro de ses souffrances endurées du fait des diverses hospitalisations, y compris de l’intervention chirurgicale sur sa hanche, de ses difficultés à se mouvoir et des traitements médicamenteux qu’il a dû subir. Sur ce point la commune contestait tout lien de causalité entre les problèmes de hanche du requérant, sa lithiase et l’exposition à la chloramine. La cour administrative d’appel confirme la condamnation de la commune sur ce point dès lors que les souffrances subies par l’agent ont été causées par la prise de médicaments visant à soigner son asthme, et notamment un traitement à base de corticoïdes ;

 à hauteur de 20 000 euros pour ses préjudices esthétique, moral et d’agrément puisque l’agent doit désormais se déplacer avec une canne ou en fauteuil roulant, ce qui l’empêche de s’adonner à la course, au cyclisme, à la natation ou l’athlétisme, sports qu’il établit avoir pratiqué régulièrement avant sa maladie.

Sur les préjudices patrimoniaux, l’agent a droit à la prise en charge par la commune des prix d’achat d’un fauteuil roulant électrique (qui n’a été que partiellement remboursé par la caisse primaire d’assurance maladie) et d’un fauteuil de repos prescrit par ordonnance. En revanche la cour administrative d’appel juge que le lien de causalité entre la maladie professionnelle et les frais engagés par l’agent pour déménager en Aquitaine n’est pas démontré.

Au total la commune est condamnée à verser 37 333 euros au requérant.

Cour Administrative d’Appel de Versailles, 30 décembre 2013, N° 11VE00137

[1Photo : © Cheryl Casey

[2Les chloramines sont produites par la réaction entre le chlore et l’ammoniac. Elles sont très irritantes pour les yeux et les voies respiratoires. L’apparition des chloramines dépend de plusieurs facteurs comme la température de l’eau, le pH, la présence d’ammoniac...