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Action directe de la victime d’un dommage contre l’assureur du responsable : ordre de juridiction compétent

Tribunal des conflits, 15 avril 2013, 13-03892

L’action directe dont dispose la victime contre l’assureur du responsable du sinistre doit-elle être nécessairement exercée devant le juge compétent pour statuer sur l’action en responsabilité contre l’auteur du dommage ?

 [1]


Non : si l’action directe ouverte par l’article L.124-3 du code des assurances à la victime d’un dommage ou à l’assureur de celle-ci subrogé dans ses droits, contre l’assureur de l’auteur responsable du sinistre, tend à la réparation du préjudice subi par la victime, elle se distingue de l’action en responsabilité contre l’auteur du dommage en ce qu’elle poursuit l’exécution de l’obligation de réparer qui pèse sur l’assureur en vertu du contrat d’assurance. Ainsi il n’appartient qu’aux juridictions de l’ordre judiciaire de connaître des actions tendant au paiement des sommes dues par un assureur au titre de ses obligations de droit privé, alors même que l’appréciation de la responsabilité de son assuré dans la réalisation du fait dommageable relèverait de la juridiction administrative. Rappelons cependant que les contrats d’assurance souscrits par les personnes publiques sont des contrats administratifs (et non des contrats de droit privé) et que le Conseil d’Etat en a déduit que l’action directe de la victime contre l’assureur de la collectivité devait être exercée devant les juridictions administratives.

La région Provence-Alpes-Côte d’Azur assigne son assureur dommage-ouvrage (DO) devant le tribunal de grande instance de Nice en raison de désordres affectant les vitrages extérieurs d’un lycée hôtelier qu’elle avait réceptionné sans réserve, lui réclamant le versement d’une indemnité de 300 000 euros au titre des travaux de réparation.

La compagnie d’assurance appelle en garantie la société attributaire du marché du contrôle technique de la construction litigieuse et son assureur devant le même tribunal.

Les juridictions judiciaires se déclarent incompétentes et invitent l’assureur de la région à se pourvoir devant les juridictions administratives. En effet l’appréciation de la responsabilité de la société chargée du contrôle technique dans la réalisation du fait dommageable relève de la compétence des juridictions administratives.

Dont acte. L’assureur dommage-ouvrage saisit donc les juridictions administratives, lesquelles... se déclarent à leur tour incompétentes.

D’où la saisine du tribunal des conflits appelé à trancher ce conflit négatif de compétence [2].

La haute juridiction opte pour la compétence des juridictions judiciaires :

« Considérant que si l’action directe ouverte par l’article L.124-3 du code des assurances à la victime d’un dommage ou à l’assureur de celle-ci subrogé dans ses droits, contre l’assureur de l’auteur responsable du sinistre, tend à la réparation du préjudice subi par la victime, elle se distingue de l’action en responsabilité contre l’auteur du dommage en ce qu’elle poursuit l’exécution de l’obligation de réparer qui pèse sur l’assureur en vertu du contrat d’assurance ;

qu’il s’ensuit qu’il n’appartient qu’aux juridictions de l’ordre judiciaire de connaître des actions tendant au paiement des sommes dues par un assureur au titre de ses obligations de droit privé, alors même que l’appréciation de la responsabilité de son assuré dans la réalisation du fait dommageable relèverait de la juridiction administrative ».

Dans un avis rendu le 31 mars 2010 [3], le Conseil d’Etat s’était prononcé dans un sens strictement opposé :

« Si l’action directe ouverte par l’article L. 124-3 du code des assurances à la victime d’un dommage, ou à l’assureur de celle-ci subrogé dans ses droits, contre l’assureur de l’auteur responsable du sinistre, tend à la réparation du préjudice subi par la victime, elle poursuit l’exécution de l’obligation de réparer qui pèse sur l’assureur en vertu du contrat d’assurance.

Elle relève par suite, comme l’action en garantie exercée, le cas échéant, par l’auteur du dommage contre son assureur, de la compétence de la juridiction administrative, dès lors que le contrat d’assurance présente le caractère d’un contrat administratif et que le litige n’a pas été porté devant une juridiction judiciaire avant la date d’entrée en vigueur de la loi du 11 décembre 2001 ».

Dans les deux cas les deux juridictions se prononcent sur l’action directe de la victime du dommage fondée sur l’article 124-3 du code des assurances estimant que celle-ci poursuit l’exécution de l’obligation de réparer qui pèse sur l’assureur en vertu du contrat d’assurance. Avec deux conclusions radicalement différentes quant à l’ordre de juridiction compétent... Est-ce à dire que le Conseil d’Etat est ouvertement désavoué par le Tribunal des conflits ?

Rien n’est moins sûr. Une nuance de taille peut en effet expliquer cette apparente différence d’analyse :

 dans l’espèce jugée par le Conseil d’Etat il s’agissait de statuer sur le recours d’un tiers contre l’assureur d’une collectivité responsable. Or le contrat qui lie une collectivité à son assureur est un contrat administratif ce qui justifie la compétence des juridictions administratives ;

 dans l’affaire tranchée par le tribunal des conflits il s’agissait de se prononcer sur l’action directe d’une victime contre l’assureur d’une personne privée attributaire d’un marché public. Or le contrat liant une entreprise privée à son assureur est un contrat de droit privé justifiant la compétence du juge judiciaire. Et ce même si une éventuelle recherche en responsabilité exercée par la collectivité contre la société relèverait de la compétence des juridictions administratives.

Ainsi, sauf à considérer que la décision du Tribunal des conflits est de portée générale et s’applique également aux contrats d’assurance de nature administrative souscrits par les personnes publiques, il est possible de donner une cohérence à ceux deux jurisprudences apparemment contradictoires en considérant que la compétence de la juridiction appeler à statuer sur l’action directe de la victime dépend de la nature privée ou administrative du contrat d’assurance souscrit par la personne responsable :

 les juridictions administratives sont compétentes pour statuer sur les actions directes exercées contre l’assureur des responsables publics ;

 les juridictions judiciaires sont compétentes pour se prononcer sur l’action directe de la victime exercée contre l’assureur d’une personne privée non soumise au code des marchés publics.

Tribunal des conflits, 15 avril 2013, 13-03892

[1Photo :© Gary Blakeley

[2Par opposition au conflit positif où les deux ordres de juridiction se reconnaissent compétents pour statuer sur un même litige.

[3Suivre le lien proposé en fin d’article