Lors d’une campagne électorale les candidats ont-ils un droit à l’exagération et à la provocation ?
Au cours de la campagne des cantonales de 2001, le maire d’une commune d’Aveyron (150 habitants) accuse l’ancien maire d’une commune voisine d’avoir pollué un cours d’eau. Ce dernier se constitue partie civile pour diffamation et obtient gain de cause devant les juridictions pénales. Le prévenu est condamné à 150 euros d’amende et à verser à la partie civile 150 euros de dommages-intérêts. Par un arrêt du 14 janvier 2003, la Cour de cassation déclare l’action publique éteinte par l’effet de la loi du 6 août 2002 amnistiant les délits de diffamation publique envers un particulier commis avant le 17 mai 2002 et rejette le pourvoi du requérant en ce qu’il porte sur l’action civile.
L’affaire aurait pu en rester là si l’élu condamné n’avait pas saisi la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) en invoquant une violation de la liberté d’expression (article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales). En effet aux termes de cet article l’ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression n’est possible qu’à la condition de respecter trois conditions cumulatives :
– 1° être prévue par la loi,
– 2° poursuivre des buts légitimes,
– 3° être nécessaire dans une société démocratique.
C’est sur ce dernier point que la CEDH estime qu’il y a eu violation de l’article 10 de la convention en soulignant que le requérant était « en campagne électorale lorsqu’il a procédé à la distribution du tract litigieux ». « Or, précieuse pour chacun, la liberté d’expression l’est tout particulièrement pour les partis politiques et leurs membres actifs (...). Le fait qu’un adversaire des idées et positions officielles doit pouvoir trouver sa place dans l’arène politique inclut nécessairement de pouvoir discuter des actions menées par d’anciens responsables dans le cadre de l’exercice de leurs mandats publics achevés. Surtout, dans le contexte d’une compétition électorale, la vivacité des propos est plus tolérable qu’en d’autres circonstances (...). Il ressort ainsi de la jurisprudence de la Cour que si tout individu qui s’engage dans un débat public d’intérêt général, comme l’est par définition une campagne électorale, est certes tenu de ne pas dépasser certaines limites quant au respect – notamment – de la réputation et des droits d’autrui, il lui est également permis de recourir à une certaine dose d’exagération, voire de provocation, c’est-à-dire d’être quelque peu immodéré dans ses propos (...).
Si les termes utilisés par le requérant dans son tract, par le raccourci maladroit qu’ils contiennent, peuvent conduire à une interprétation inappropriée, la Cour juge qu’ils restent néanmoins dans les limites de l’exagération ou de la provocation admissibles. Ce constat est d’autant plus avéré que les limites de la critique sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier : à la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens ; il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance à l’égard de ces critiques (...).
Et la CEDH de condamner l’Etat français à verser au requérant cent cinquante euros au titre du préjudice matériel et huit cents euros au titre des frais et dépens.