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Favoritisme : même engagée par erreur, une procédure d’appel d’offres doit être respectée à la lettre

Cour d’appel de Montpellier, 22 novembre 2012, N° 1718

Un maire peut-il se rendre coupable de favoritisme s’il ne respecte pas la procédure d’appel d’offres qu’il a initiée par précaution et dont il aurait pu légalement s’affranchir ?

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Oui : le juge pénal doit se prononcer sur la régularité du marché au regard de la procédure d’appel d’offres engagée, quand bien même celle-ci n’était pas obligatoire. Se rend ainsi coupable de favoritisme le maire qui avantage une association dans l’attribution d’un marché public pour l’organisation de spectacles, et ce même si l’opération aurait pu être montée en toute légalité en dehors des règles d’attribution du code des marchés publics. Il n’est pas par ailleurs nécessaire de prouver que l’élu ait tiré un profit personnel de l’opération, seul comptant l’avantage injustifié procuré à l’association retenue.

Une commune de 10 000 habitants ambitionne de devenir "la capitale du spectacle". Un projet de partenariat avec une association est élaboré à cet effet. Il y est prévu l’acquisition par le ville de spectacles montés et organisés par l’association pour un montant total subventionné de 750 000 euros avec pour contrepartie financière la location de la salle multiculturelle pour un montant de 50 000 euros.

L’association publie un avant-programme de la saison s’inscrivant dans le projet, et dépose à l’INPI le nom de la commune "capitale du spectacle".

Alors que tout est déjà ficelé, une réunion de direction est organisée pour étudier... la faisabilité juridique du projet.

La directrice générale des services (DGS) émet des doutes sur la légalité du montage et préconise une procédure d’appel d’offres. Le directeur de cabinet du maire estime pour sa part que l’opération ne nécessite pas la passation d’un marché public et que tout peut se réaliser via l’attribution classique de subventions à l’association.

La DGS arrive finalement à obtenir une procédure formalisée et doit batailler ferme pour que le délai de remise des offres soit repoussé d’une semaine pour permettre une meilleure mise en concurrence, les candidats ayant ainsi trois semaines pour répondre.

Deux associations se portent candidates. Sans surprise celle avec laquelle le projet a été monté obtient le marché.

Sept conseillers municipaux dénoncent au procureur de la République un délit de favoritisme.

Pour sa défense le maire soutient que le projet initial monté par la commune était parfaitement légal et qu’il n’était pas tenu de procéder à un appel d’offres. Ainsi, poursuit-il, dès lors qu’il s’est de lui même soumis à la procédure d’appel d’offres, il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir respecté les règles requises par le code des marchés publics.

L’argument est écarté par le tribunal correctionnel, ce que confirme la cour d’appel de Montpellier. En effet le juge pénal doit se prononcer sur la régularité du marché au regard de la procédure d’appel d’offres engagée, quand bien même celle-ci n’était pas obligatoire.

Or il est manifeste, poursuit la cour, que le marché litigieux avait simplement pour objet d’habiller juridiquement les engagements déjà pris par le maire avec l’association et que la procédure avait été montée dans l’urgence compte tenu de l’ouverture de la saison au troisième trimestre.

Ainsi les prix avaient déjà été négociés par le maire avant le lancement de la procédure et le cahier des clauses techniques particulières avait été calqué sur le projet de partenariat initié avec l’association. Un membre de la commission d’appel d’offres (CAO) a par ailleurs déclaré aux enquêteurs qu’il n’y avait pas eu de vote formel pour l’attribution du marché alors que les notes des offres des deux associations candidates étaient très proches (0,05 points) l’une de l’autre.

La cour d’appel relève à cet égard que la procédure de désignation du candidat par le maire, même si elle était permise par la délégation consentie à l’élu, a privé le conseil municipal d’un débat sur la régularité, la transparence et la loyauté des marchés publics.

Quant à l’élément intentionnel de l’infraction, les compétences et de l’expérience administrative et politique du prévenu excluent qu’il ait pu ignorer les règles des marchés publics auxquelles il avait d’ailleurs, dans un premier temps, tenté d’échapper... Peu importe par ailleurs que l’élu n’ait pas recherché ou retiré un intérêt personnel de l’opération, seul comptant l’avantage injustifié procuré à l’association retenue.

Et la cour d’appel de conclure :

" c’est ainsi que face à cette relativité d’impératifs dictés directement par le maire dans le cadre de précédentes discussions visant à aboutir à un projet de partenariat, il apparaît que la mise en forme procédurale n’est qu’une réponse, apparemment adéquate, à une situation peut-être mal appréciée au regard des contingences du code général des collectivités territoriales et du code des marchés publics, mais bien réelle dans son montage consistant à mettre en œuvre un processus d’éligibilité financière au profit d’une association avec laquelle des liens étroits étaient entretenus".

En répression l’élu est condamné à 3 mois d’emprisonnement avec sursis et 4000 euros d’amende.

Cour d’appel de Montpellier, 22 novembre 2012, N° 1718

[1Photo : © Pavel L