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Présomption d’innocence et protection fonctionnelle : le grand écart

Cass crim 16 janvier 2008 N° de pourvoi : 07-82207 Non publié au bulletin

Une collectivité qui a accordé sa protection fonctionnelle aux victimes de harcèlement comme au fonctionnaire poursuivi peut-elle obtenir le remboursement des sommes engagées devant le juge pénal ?

En 2002, sur plainte de deux agents d’un conseil général, un ingénieur territorial, directeur de l’organisation informatique, est poursuivi pour harcèlement moral. En cours d’instruction, la collectivité se joint à la plainte en se constituant partie civile et sanctionne disciplinairement le directeur mis en cause. Les faits reprochés au prévenu sont classiques de ce type de dossiers : affectation du personnel à des tâches marginales, réprimandes violentes et démesurées, reproches injustifiés, propension à s’exprimer en hurlant, caractère rigide et autoritaire, refus de formation, mises à l’écart... Après avoir analysé chaque élément invoqué, le tribunal puis la Cour d’appel considèrent que le harcèlement est caractérisé pour l’une des plaignantes mais non pour l’autre. Le prévenu est condamné à trois mois d’emprisonnement avec sursis, ce que confirme la Cour de cassation. Mais l’intérêt de cette affaire se situe surtout dans les attendus de l’arrêt de la Cour d’appel relatifs à l’action civile. En effet, au titre de la protection fonctionnelle (article 11 de la loi du 13 juillet 1983), la collectivité avait pris en charge les honoraires d’avocat des deux plaignantes mais également de l’ingénieur mis en cause. Elle demandait à la Cour le remboursement des sommes exposées à ce titre pour un total de plus de 26000 euros, ainsi que la réparation de son préjudice moral (atteinte à son image) et matériel (perturbations dans la fonctionnement du service résultant notamment de la suspension conservatoire du directeur et des changements d’affectation qu’imposaient le risque de pressions).

1° S’agissant de sa demande de remboursement des honoraires, la collectivité s’appuyait en ce sens sur les dispositions du cinquième aliéna de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 aux termes desquelles « la collectivité est subrogée aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des menaces ou attaques la restitution des sommes versées au fonctionnaire intéressé. Elle dispose, en outre, aux mêmes fins, d’une action directe qu’elle peut exercer au besoin par voie de constitution de partie civile devant la juridiction pénale ».
La Cour d’appel déboute le Conseil général :
 1.1 Ce texte ne saurait avoir « pour effet de déroger aux règles de fond qui régissent l’indemnisation des victimes d’infractions et plus particulièrement, la constitution de partie civile devant la juridiction pénale ». Seuls les dommages directement causés par l’infraction peuvent être indemnisés. Tel n’est pas le cas des débours. Le Conseil général n’ayant pas formé de pourvoi, la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur ce point.
 1.2 S’agissant des frais d’avocat de l’agent mis en cause, la Cour estime que le département « ne peut se prévaloir des dispositions de l’article 11 de la loi précitée du 13 juillet 1983 en raison du caractère incontestable et incontesté de faute personnelle détachable de l’exercice des fonctions que revêtent les faits imputés à ce prévenu, alors que l’absence d’une faute de cette nature est la condition posée par ce texte pour que le fonctionnaire puisse bénéficier de la protection qu’il institue et pour que, par voie de conséquence, la collectivité publique puisse obtenir restitution des sommes versées au fonctionnaire intéressé ».

2° S’agissant de la réparation du préjudice moral invoqué par le Conseil général, la Cour considère qu’aucun préjudice n’est caractérisé. En effet si la presse régionale s’est fait l’écho de l’affaire, « la teneur des articles met parfaitement en évidence le caractère strictement personnel des agissements imputés à l’intéressé à l’exclusion de toute allusion directe ou indirecte visant le Conseil général ».

3° Sur la réparation du préjudice matériel enfin, si la Cour ne conteste pas que les suites de la dénonciation ont entraîné des perturbations dans le fonctionnement du service, « aucune justification ne permet de caractériser et d’estimer le préjudice matériel qui aurait pu en résulter pour le Conseil Général ou le Département en tant que personne morale de droit public, étant observé que les inconvénients allégués ont été plutôt subis par les fonctionnaires personnes physiques qui ont dû faire face à la situation ».

Faute pour le Conseil Général d’avoir exercé un pourvoi, la Cour de cassation n’a pas eu à se prononcer sur ces trois points. En revanche, elle a confirmé que les faits de l’espèce étaient bien constitutifs d’une faute personnelle pour l’agent excluant de facto toute prise en charge des dommages-intérêts par la collectivité. Ce sera à l’agent et à lui seul de supporter le versement à la victime des 5000 euros de dédommagement.