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Fonctionnaire indélicat et insolvable : la victime fondée à se retourner contre la collectivité ?

Cour Administrative d’Appel de Nancy, 7 février 2013, N° 12NC01244

La victime d’un fonctionnaire indélicat peut-elle se retourner contre la collectivité si l’agent se révèle insolvable ?

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Oui si la faute personnelle de l’agent n’est pas dépourvue de tout lien avec le service. Tel est le cas d’un fonctionnaire qui, dans l’exercice de ces fonctions, a pu obtenir d’une caisse d’allocation familiales le versement de prestations indues pour la commune qu’il a ensuite détournées à son profit. En effet la circonstance qu’une victime obtienne une condamnation d’une personne devant le juge judiciaire ne l’empêche pas de rechercher la responsabilité d’une autre personne devant la juridiction administrative pour obtenir la réparation du même préjudice. Il appartient seulement au juge administratif de veiller à ce que la victime n’obtienne une réparation supérieure au préjudice subi.

Le secrétaire général d’une commune (1200 habitants) est condamné pour avoir détourné des prestations versées indument à la commune par la caisse d’allocation familiales dans le cadre d’une convention de prestation de service pour la crèche - halte garderie, d’un " contrat enfance " pour le périscolaire et le centre de loisirs, et d’un contrat " temps libres " pour une activité informatique . En effet le secrétaire général avait falsifié les données relatives au taux de fréquentation de la crèche-halte-garderie, du périscolaire et du centre de loisirs.

Au civil, le tribunal correctionnel condamne l’agent indélicat à rembourser à la caisse d’allocations familiales un peu plus de 30 000 euros de prestations trop versées. Le fonctionnaire s’avérant insolvable, la caisse d’allocation familiale se retourne contre la commune.

En effet la faute commise par le secrétaire général, pour personnelle qu’elle soit, n’est pas dépourvue de tout lien avec le service.

Oui mais voilà répond le tribunal administratif, en demandant d’abord réparation de son préjudice au fonctionnaire, la caisse d’allocation familiale a exercé son droit d’option contre l’agent et s’est ainsi privée de toute possibilité d’action contre la collectivité.

Faux réplique la cour administrative d’appel de Nancy qui accueille favorablement l’action exercée contre la commune :

 "la seule circonstance qu’une victime obtienne une condamnation d’une personne devant le juge judiciaire ne fait pas obstacle à ce qu’elle recherche la responsabilité d’une autre personne devant la juridiction administrative pour obtenir la réparation du même préjudice" ;

 "il appartient seulement au juge administratif, lorsqu’il détermine le montant des indemnités allouées par lui, de prendre, au besoin d’office, les mesures nécessaires pour que sa décision n’ait pas pour effet de procurer à la victime d’un dommage, par les indemnités qu’elle a pu obtenir à raison des mêmes faits, une réparation supérieure au préjudice subi".

Or si le fonctionnaire a détourné les sommes à son profit, il reste que "lesdits fonds ont tous transité par le budget de la commune qui a perçu une aide supérieure à celle qu’elle était en droit de bénéficier".

La commune ne peut valablement soutenir que la caisse d’allocations familiales a commis une faute en n’usant pas de ses pouvoirs de contrôle dès lors qu’il ressort des courriers échangés en 2003 et 2004 entre les parties que ladite caisse s’interrogeait déjà sur le coût élevé des services.

La commune ne peut pas plus invoquer la prescription quadriennale des créances sur les collectivités territoriales : en effet ce n’est qu’en janvier 2008 que la caisse a pu constater des écarts entre les états déclaratifs sur la base desquels ont été versées les aides et les données effectives trouvées par la gendarmerie à l’occasion de l’enquête pénale. La seule circonstance que sa créance soit en lien avec des aides versées entre 2002 et 2004, est ainsi sans incidence sur l’appréciation du point de départ de la prescription, dès lors qu’elle n’était pas en mesure, à ces dates, de connaître l’existence de sa créance à l’égard de la commune.

La caisse d’allocations familiales est donc bien fondée à demander la condamnation de la commune à l’indemniser du préjudice subi du fait du versement de prestations qui n’étaient pas dues. A charge pour cette dernière se retourner contre l’agent indélicat. A supposer que celui-ci redevienne solvable...

Cour Administrative d’Appel de Nancy, 7 février 2013, N° 12NC01244

[1Photo : © Tkemot