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Station d’épuration et nuisances aux riverains

CAA Marseille 25 mai 2007 N° 04MA01999

Dans quelles conditions les riverains d’une station d’épuration peuvent-ils obtenir réparation des troubles occasionnés par la proximité de l’ouvrage public ?


Dans les années 50, un couple investit dans une villa se situant dans un quartier résidentiel mais dans le périmètre proche d’une station d’épuration en cours de construction. Près de cinquante ans plus tard, les propriétaires demandent répération de leur préjudice à la société qui exploite la station et à la communauté d’agglomération qui, entre-temps, en est devenue propriétaire. En effet, les nuisances olfactives et sonores causées par l’ouvrage les a conduit à percevoir un loyer minoré de moitié par rapport aux prix pratiqués dans la région.

Le tribunal administratif écarte la responsabilité de la collectivité mais retient celle de l’exploitant en lui attribuant la qualité de concessionnaire solvable. La Cour administrative d’appel de Marseille rend un arrêt riche d’enseignements sur plusieurs points :

1° Sur la nature du contrat liant la collectivité à l’exploitant :
Rémunéré annuellement par la collectivité pour la prestation effectuée, l’exploitant n’est pas un concessionnaire et le contrat qui le lie à la collectivité est un marché public, non une délégation de service public. La responsabilité de l’exploitant doit donc être examinée en qualité de prestataire de service et non en qualité de concessionnaire solvable.

2° En ce qui concerne le caractère anormal et spécial des dommages :
La Cour administrative d’appel de Marseille confirme que les "nuisances dans un quartier à vocation résidentielle excèdent les sujétions normales résultant du voisinage d’ouvrages de cette nature et constituent ainsi un dommage anormal et spécial". En effet il résulte de l’expertise que les bruits émis par la station d’épuration excèdent les normes réglementaires en vigueur et les odeurs nauséabondes en provenance de cette installation excèdent les normes acceptées par les règles de l’art.

3 ° En ce qui concerne la personne responsable des dommages :
Il ressort de l’expertise que "les troubles permanents en litige ont pour origine, non des fautes dans l’exploitation de l’installation (...), mais la conception même de celle-ci désormais inadaptée, en « bout de course »" et qu’une "mise aux normes nécessiterait un investissement estimé par le même expert à un total de 720.000 euros de travaux". Or il résulte des stipulations contractuelles que de tels travaux, incombent par leur nature et leur importance, au maître d’ouvrage. La communauté d’agglomération qui, en raison du transfert de compétences s’est subsitué à la commune ne saurait donc se dégager de sa responsabilité sur son cocontractant exploitant.

4° En ce qui concerne le fait des victimes :
Certes les requérants connaissaient le projet de construction lorsqu’ils se sont portés acquéreurs du bien, mais la capacité initiale de la station qui était de 20 000 équivalents habitants en 1960 a été progressivement porté à 130 000 équivalents habitants en 1976, ce qui s’est traduit par un agrandissement des installations dans la direction de la propriété des requérants. Dans ces conditions, les requérants ne pouvaient pas s’attendre en 1957 à ce que les conditions d’habitation de leur propriété soient aussi gravement modifiées. La Cour d’amnistrative d’appel juge en conséquence "qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en laissant à leur charge un tiers des conséquences dommageables qu’ils subissent".

5° Sur la prescription :
Ce n’est que le 18 janvier 2000 que les administrés ont introduit un recours indemnitaire devant le tribunal. La prescription quadriennale prévue par la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 est donc aquise pour toutes les créances antérieures au mois de janvier 1996. En effet les requérants qui prétendent avoir adressé de courriers interruptifs de prescription, "se contentent de produire les réponses à ces courriers, lesquelles ne peuvent être regardées comme répondant à des réclamations indemnitaires interruptives de prescription"....

6° Sur la réparation :

 Les requérants "ne sont pas fondés à demander réparation du préjudice qu’ils estiment subir du fait de l’impossible vente de leur bien, dès lors que les travaux nécessaires au bon fonctionnement de la station (...) peuvent être réalisés dans l’avenir et rendre la vente réalisable". En effet "la circonstance non contestée que les travaux d’amélioration exécutés en 2004, bénéfiques en ce qui concerne les vibrations, n’aient pas apporté de nette amélioration en ce qui concerne les odeurs, ne saurait établir une dépréciation définitive du fonds, dès lors que d’autres travaux d’amélioration peuvent être entrepris et que le déplacement même de la station peut être envisagé".

 S’agissant du préjudice de jouissance, les requérants "ne peuvent réclamer réparation des troubles dans les conditions d’existence qu’ils subiraient à titre personnel, dès lors qu’ils n’habitent pas la villa". Ils "peuvent en revanche invoquer leur perte locative, dès lors qu’il résulte de l’instruction (...) que leur maison est un bien locatif de 160 m2 de S.H.O.N., qui n’a été louée que pour un loyer mensuel de 5.000 F [...alors que] que, compte tenu de l’emplacement de la villa près de la mer et en dehors de ces nuisances, le loyer mensuel moyen à 60 F le m2 déterminerait un loyer mensuel attendu pour le bien en cause de 9.600 F". Leur préjudice locatif s’élève, sur la période courant de janvier 1996 à novembre 2002, à la somme de 406.700 F (83 mois x 4.900 F), soit 62.001,02 euros. Compte-tenu du partage de responsabilité, "ils sont fondés à demander à la Cour de condamner la communauté d’agglomération de Nice-Côte-d’Azur à leur verser l’indemnité de 41.334,01 euros".