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Dématérialisation des marchés publics : de la valeur juridique d’un guide d’utilisation d’une plate-forme dématérialisée

Conseil d’État, 3 octobre 2012, N° 359921

Un guide d’utilisation d’une plate-forme dématérialisée a-t-il une valeur juridique opposable aux candidats ?

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Oui si le respect de ce guide est imposé par le règlement de la consultation. Une entreprise dont la candidature a été rejetée ne peut ainsi reprocher à un acheteur public de ne pas s’être assuré qu’un courriel l’invitant à compléter son dossier a bien été réceptionné. En effet le guide d’utilisation de la plate-forme dématérialisée, dont le respect était imposé par le règlement de consultation, mettait seulement à la charge de l’acheteur le soin d’adresser aux candidats, à l’adresse électronique indiquée par eux, un message d’alerte les invitant à se rendre sur cette plate-forme pour prendre connaissance des compléments d’information demandés et y répondre (à charge pour les candidats d’activer le lien électronique pour pouvoir accéder au contenu de ce message et compléter le dossier de candidature dans le délai imparti).

Un département lance une procédure d’appel d’offres ouvert en vue de l’attribution d’un marché à bons de commande portant sur des prestations d’assistance à maîtrise d’œuvre, maîtrise d’ouvrage et d’architecture pour la mise en œuvre des systèmes d’information et acquisition d’une solution d’architecture associée.

Le règlement de la consultation prévoit l’accès à une plate-forme de dématérialisation des marchés publics et fournit des indications sur ses modalités d’utilisation dans un guide.

Dossier incomplet

Trois groupements d’entreprises présentent leur candidature.

L’un des dossiers est incomplet. En effet un formulaire remis par la société mandataire du groupement de trois entreprises comporte uniquement la signature de la société mandataire, seul le fichier " zip " étant signé par les trois sociétés membres du groupement. Or le règlement de consultation exige bien que ce formulaire comporte la signature électronique de chaque membre du groupement.

Le département adresse alors un courrier électronique à la société mandataire du groupement l’invitant à compléter son dossier de candidature.

Le courriel restant sans réponse, le département rejette la candidature du groupement comme étant incomplète sans procéder à une relance de l’entreprise.

Procédure négociée

La procédure poursuivie avec les deux autres groupements candidats, s’avère infructueuse en raison du caractère inacceptable de leurs offres.
Le département engage alors une procédure négociée avec ces deux seuls groupements.

Le groupement dont la candidature a initialement été écartée demande en référé l’annulation de la procédure d’attribution. Outre son droit à être réintégré dans procédure négociée consécutive à la déclaration d’infructuosité, le groupement invoque une violation du principe d’égalité de traitement des candidats : le département aurait dû s’assurer que le courriel était bien parvenu sur la messagerie électronique de la société mandataire du groupement ou réexpédier à celle-ci le message contenant l’information qu’un document la concernant pouvait être consulté sur la plate-forme de dématérialisation.

Accueillant favorablement ces arguments, le juge des référés annule la procédure de passation et enjoint au département de la reprendre intégralement.

Le Conseil d’Etat annule l’ordonnance et donne raison au département.

Un guide d’utilisation opposable aux candidats

Sur le premier point le Conseil d’Etat juge qu’il n’appartenait pas au département de s’assurer que les candidats avaient effectivement pris connaissance du message électronique invitant le groupement à compléter son dossier de candidature :

 aucune disposition du règlement de la consultation ne lui en faisait obligation ;

 en vertu du guide d’utilisation de la plate-forme dématérialisée imposé aux candidats par le règlement de la consultation, le département devait seulement, pour inviter les candidats à compléter leur candidature, leur adresser, à l’adresse électronique indiquée par eux, un message d’alerte les invitant à se rendre sur cette plate-forme pour prendre connaissance des compléments d’information demandés et y répondre.

Ce qui a bien été fait en l’espèce comme l’atteste un courriel de la société gestionnaire de la plate-forme de dématérialisation informant le département que le message litigieux est bien parvenu sur le serveur de messagerie de la société mandataire. Il appartenait dès lors à cette dernière d’activer le lien électronique pour pouvoir accéder au contenu de ce message et compléter le dossier de candidature du groupement dans le délai qui lui était imparti pour ce faire.

C’est donc à bon droit que le département a estimé que le dossier de candidature des sociétés membres du groupement demeurait incomplet et a rejeté en conséquence leur candidature.

Ne pas confondre offre écartée et candidature rejetée

"Seuls les candidats ayant, dans le cadre de l’appel d’offres, déposé une offre, qu’elle ait été écartée comme irrégulière ou inacceptable, doivent être admis à la négociation lorsque le pouvoir adjudicateur a décidé, après avoir constaté le caractère infructueux de l’appel d’offres, de recourir à une procédure négociée."

C’est ce qu’il résulte du I de l’article 35 du code des marchés publics.
Or, poursuit le Conseil d’Etat, les sociétés membres du groupement dont la candidature a été rejetée "n’ont, en conséquence, déposé aucune offre".

Elles ne sont donc pas fondées à soutenir que le département aurait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en n’admettant pas le groupement qu’elles avaient constitué à la négociation engagée sur le fondement des dispositions du 1° du I de l’article 35 du code des marchés publics.

Conseil d’État, 3 octobre 2012, N° 359921

[1Photo : © Ximagination