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Harcèlement moral : responsabilité civile personnelle du maire ?

Cour de cassation, chambre criminelle, 4 septembre 2012, N° 11-84794

Est-ce au maire reconnu coupable de harcèlement moral d’indemniser personnellement la victime ?

 [1]


Oui si les faits qui lui sont personnellement imputés sont jugés constitutifs d’une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions. Tel est jugé le cas d’un maire qui a isolé une directrice de CCAS de son environnement professionnel et a dévalorisé son travail et s’est ainsi livré personnellement, de manière intentionnelle et répétée, à des actes fautifs ayant gravement dégradé les conditions de travail de l’intéressée. La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir retenu la responsabilité civile personnelle de l’élu, les faits commis par le prévenu constituant "des manquements volontaires et inexcusables à des règles d’ordre professionnel et déontologique". L’élu est ainsi condamné à verser sur ses deniers personnels 10 000 euros d’indemnité provisionnelle à la plaignante en attendant qu’il ne soit statué définitivement sur le montant final de la réparation.
 

Une directrice de CCAS d’une commune porte en plainte en 2004 contre le maire de la commune (600 habitants) du chef de harcèlement moral.

L’intéressée reproche à l’élu :

 de l’avoir publiquement dénigrée en répétant qu’elle ne faisait pas son travail ;

 d’avoir incité les parents d’élèves à se méfier d’elle et d’éviter tout contact ;

 d’avoir confié ses attributions de régisseur du périscolaire à une suppléante ;

 d’avoir considérablement réduit ses attributions et ses heures de permanence au CCAS ;

 de ne plus l’avoir conviée aux réunions du CCAS ;

 de l’avoir invitée à limiter ses prises de contacts avec les personnes âgées.

L’élu se défend de toute intention de nuire en invoquant une simple réorganisation du service et relève qu’aucun texte n’imposait la présence de l’intéressée aux réunions du CCAS.

 

Déclassement et dénigrement injustifiés

Les juges correctionnels donnent raison à l’élu sur ce dernier point mais ne l’excusent pas pour autant :

"il reste que dans le contexte de l’époque, le rôle subitement limité de la partie civile, par le maire, à la seule permanence de deux heures du lundi après-midi apparaît bien comme une privation voulue de ses attributions et une manière de déclassement".

En effet l’intéressée seule membre permanent du CCAS en était la cheville ouvrière comme l’attestent notamment les plaquettes éditées par la commune [2].

Ainsi "le fait de limiter pour des raisons non liées à la qualité de son travail ou encore à des raisons objectives de service, la participation de la partie civile au CCAS à la seule permanence de deux heures hebdomadaires, manifestement insuffisantes pour remplir l’ensemble de ses attributions (...), est revenu à dégrader les conditions de travail en dévalorisant l’importance de ce qu’avait été son travail précédemment dans le secteur social".

Dévalorisation d’autant plus injuste que la plaignante est décrite de manière quasi unanime comme ayant été extrêmement dévouée dans son travail pour la commune, travaillant bien au-delà de ses heures rémunérées et que les mesures prises sont "manifestement sans rapport avec la qualité intrinsèque de son travail puisqu’il est établi que le maire ne lui avait jamais adressé de remontrance, voire de sanction".

 

Huit ans de procédure

Après huit années de procédure [3], la Cour de cassation confirme la condamnation de l’élu à 1000 euros d’amende avec sursis :

"la cour d’appel (...) a caractérisé, sans insuffisance ni contradiction, le délit retenu en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, dès lors qu’elle a mis en évidence à la charge [du maire], des agissements répétés, étrangers à son pouvoir d’organisation et de direction des services municipaux, ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail de la partie civile susceptible d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel".

10 000 euros d’indemnité provisionnelle à la charge personnelle du maire

Mais l’intérêt principal de l’arrêt se situe sur l’action civile. Condamné à verser 10 000 euros d’indemnité provisionnelle avant que le tribunal ne statue sur le montant final de la réclamation, l’élu soulève l’incompétence des juridictions judiciaires. Il relève en effet que les faits qui lui sont imputés, à les supposer avérés, ont été commis dans le cadre de l’exercice de ses fonctions de maire puisqu’il s’agissait de l’organisation des tâches municipales et de l’efficacité de l’une des employés municipales.

 

Peu importe répond la Cour de cassation qui approuve les juges du fond d’avoir retenu la responsabilité civile personnelle de l’élu dès lors qu’il s’est "livré personnellement, de manière intentionnelle et répétée, à des actes fautifs ayant gravement dégradé les conditions de travail de [la plaignante] et ayant concouru à l’altération de son état de santé".

Ainsi "la cour d’appel a justifié sa décision, dès lors qu’il résulte de ses constatations que les faits commis par le prévenu constituaient des manquements volontaires et inexcusables à des règles d’ordre professionnel et déontologique".

[1Photo : © Tkemot

[2La plaquette explicitant les compétences du CCAS précisait « Mme C... s’est formée et spécialisée en action sociale. ; qu’elle est une interlocutrice privilégiée qui vous permet de constituer vos dossiers et vous met en relation avec les organismes extérieurs pour régler rapidement les problèmes d’ordre social »

[3Un premier arrêt de la cour d’appel de Douai avait été cassé pour des raisons de procédure