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Cadre territorial incompétent, harcèlement moral justifié ?

Cour Administrative d’Appel de Nantes, 12 juillet 2012, N° 10NT00677

L’incompétence d’un cadre territorial peut-il justifier sa mise au placard et exonérer partiellement la collectivité des agissements de harcèlement moral dont il a été l’objet ?

 [1]


Non : si le juge doit tenir compte du comportement du plaignant pour apprécier la réalité du harcèlement dont il estime être l’objet, en revanche la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l’existence d’un harcèlement moral est établie, qu’il puisse être tenu compte du comportement de l’agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Il appartient à l’autorité territoriale de trouver des solutions avec l’intéressé plutôt que de prendre des mesures humiliantes et dégradantes. Si le comportement de l’agent est fautif, il convient de prendre à son encontre des sanctions disciplinaires.

A sa création en 2002, une communauté de communes recrute par voie de mutation une secrétaire générale titulaire du grade le plus élevé du cadre d’emplois de catégorie B des rédacteurs territoriaux. Très vite les relations se tendent entre l’intéressée et le président de la communauté de communes qui dénonce publiquement à plusieurs reprises l’incompétence de la secrétaire générale.

En mai 2004, la communauté de communes recrute une attachée territoriale afin d’assurer les fonctions confiées jusqu’ici à l’intéressée, reléguée désormais à des fonctions d’assistante. Cette dernière doit en outre laisser son bureau à la nouvelle arrivante, pour intégrer la froide salle des mariages dans laquelle une simple table et une chaise représentent ses seuls outils de travail.

La situation ne cesse alors de se dégrader : l’ancienne secrétaire générale refuse de collaborer avec sa remplaçante et le président lui retire l’ensemble de ses attributions. S’en suit une série d’arrêts maladie qui se solderont finalement par le départ de la fonctionnaire vers une nouvelle collectivité.


Plainte au pénal

L’intéressée porte plainte au pénal pour harcèlement moral et saisit les juridictions administratives pour obtenir réparation de son préjudice qu’elle estime à près de 50 000 euros.

Au pénal [2], l’élu est condamné à 5000 euros d’amende dont 3500 euros avec sursis.

Le tribunal administratif de Caen condamne la communauté de communes à verser à l’intéressée une indemnité de 3 000 euros en réparation des préjudices subis.

La cour administrative d’appel de Nantes confirme la responsabilité de l’EPCI et porte à 10 000 euros le montant des indemnités à verser à la plaignante.


L’erreur de casting ne justifie pas la mise au placard

Si les magistrats nantais concèdent que certains manquements peuvent être imputés à la requérante, ils lui trouvent des circonstances atténuantes :

 "les fonctions de secrétaire générale étaient d’un niveau supérieur à celles susceptibles d’être confiées à un fonctionnaire de catégorie B, fût-il expérimenté" ;


 "elles devaient en outre être accomplies dans le contexte difficile de la création de la communauté et (...) le président n’a pas tenté, par des entretiens avec l’intéressée, de rechercher avec elle les causes des difficultés qu’elle rencontrait et les moyens d’y remédier".

Bref les magistrats reconnaissent que l’intéressée n’avait pas les compétences requises pour le poste. Mais la faute en incombe à la communauté de communes qui, sans doute par souci d’économie, a recruté un agent d’un niveau inférieur au niveau requis pour ce type de fonctions. Cette circonstance aurait dû inviter le président à trouver des solutions avec l’intéressée plutôt qu’à la stigmatiser en public.

En outre si le refus de l’intéressée de collaborer avec la nouvelle secrétaire générale est bien fautif, un tel comportement aurait dû être sanctionné dans le cadre d’une procédure disciplinaire. Et non par une mise au placard humiliante et dégradante.


Troubles dans les conditions d’existence

Pour autant, poursuit la cour administrative d’appel de Nantes, il ne résulte pas de l’instruction que les arrêts de travail dont a bénéficié la requérante ont été provoqués par les agissements du président de la communauté de communes à son égard, ni que l’absence de notation lui a causé un préjudice de carrière en la privant d’une chance sérieuse d’être promue dans le cadre d’emplois des attachés territoriaux. En outre si son régime indemnitaire a été réduit, voire supprimé à compter du mois de mai 2004, date de sa mutation en tant qu’assistante de la nouvelle secrétaire générale de la communauté de communes, il n’existe pas de lien direct de causalité entre le préjudice résultant de cette mesure et le harcèlement moral dont a elle été victime. L’intéressée n’est donc pas fondée à demander une indemnisation au titre de ces chefs de préjudice [3].

Seuls les troubles dans les conditions d’existence de l’intéressée peuvent être ainsi réparés, la cour administrative d’appel condamnant la communauté de communes à lui verser la somme de 10 000 euros.

Cour Administrative d’Appel de Nantes, 12 juillet 2012, N° 10NT00677

[1Photo : © Avesun

[2Tribunal correctionnel de Coutances, 14 février 2012

[3On pressent à la lecture de l’arrêt que les magistrats nantais, quelque peu échaudés d’avoir été désavoués par le Conseil d’Etat dans une précédente espèce similaire (Conseil d’État, 11 juillet 2011, N° 321225 ; voir le lien proposé en fin d’article) ont trouvé une astuce pour contourner une censure du Conseil d’Etat : le comportement fautif de la victime ne pouvant pas être pris en compte dans l’évaluation de son préjudice, la cour administrative d’appel de Nantes se place sur le terrain de la causalité pour exclure l’indemnisation des préjudices allégués par la requérante.