
Cour de cassation, chambre criminelle, 14 décembre 2011, N° 11-82854
Le délit de favoritisme suppose-t-il pour être constitué que l’acheteur public ait eu l’intention de favoriser le candidat retenu ?
Non : il suffit que l’acheteur ait méconnu une disposition législative ou réglementaire ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public. Peu importe qu’il n’ait pas voulu nuire au candidat évincé, ni favoriser l’entreprise attributaire.
[1]
En octobre 2003 une école nationale d’application des cadres territoriaux (ENACT) lance une procédure d’appel d’offres pour le recrutement de formateurs professionnels devant assurer des modules d’enseignement pour des cadres de la fonction publique territoriale. Le règlement de la consultation prévoit cinq critères de sélection classés selon leur ordre d’importance.
Trois ans plus tard, les juridictions administratives annulent l’attribution de ces marchés au motif que lors de l’examen des offres des différents candidats, la commission locale n’avait pas procédé à un classement de ces derniers en fonction des critères précités mais s’est fondée sur la seule qualité de la réponse pédagogique et le prix des interventions, sans expliciter les éléments pris en compte pour apprécier le premier critère.
Un candidat évincé porte parallèlement plainte avec constitution de partie civile du chef de favoritisme. Outre le nom respect des critères de choix annoncés dans la règlement de consultation, le plaignant dénonce un fractionnement illicite des marchés entre les différents établissements locaux de formation dépendant du CNFPT.
Pas de "saucissonnage" illicite
La Cour de cassation approuve la juridiction d’instruction d’avoir écarté ce dernier argument : chaque établissement local, étant spécialisé dans la formation de publics différents, a des besoins spécifiques qui doivent être évalués au niveau local et non national.
Ainsi "les marchés passés par chacun des établissements locaux constituaient des opérations de service distinctes au sens de l’article 27 du code des marchés publics alors applicable".
Le "ouf" de soulagement ne sera que de courte durée.
Dysfonctionnement pénalement répréhensibles
En effet la Cour de cassation annule le non lieu infirmant sur autre point l’arrêt de la chambre de l’instruction. Celle-ci avait considéré que si l’élément matériel du délit de favoritisme était bien caractérisé, il n’y avait pas eu pour autant d’intention de nuire de la part de l’ENACT et de volonté de privilégier le candidat retenu [2].
Peu importe répond la Cour de cassation qui reprend ici un argumentaire déjà bien rôdé :
"l’élément intentionnel du délit de favoritisme est caractérisé par l’accomplissement, en connaissance de cause, d’un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public".
Bref pour que l’élément intentionnel du délit soit caractérisé il suffit que l’acheteur ait sciemment violé une disposition du code des marchés publics sans qu’il soit nécessaire d’établir qu’il ait voulu favoriser un candidat au détriment d’un autre. Comme par ailleurs nul n’est censé ignorer la loi, et encore moins des élus et des fonctionnaires présumés aguerris aux procédures de marché public, un manque de rigueur, des approximations ou des erreurs d’interprétation, peuvent conduire devant le juge pénal.
Cour de cassation, chambre criminelle, 14 décembre 2011, N° 11-82854
[1] Photo : © Yuri Arcurs
[2] "Si des maladresses et des dysfonctionnements se sont produits au regard des critères de choix, il ne résulte d’aucun élément de l’information que les membres de la commission aient été animés d’une telle intention de nuire au groupement X...-Y... et qu’ils aient de manière délibérée et frauduleuse évincé ce dernier pour privilégier un autre candidat".
Ce qu'il faut en retenir
– Des maladresses ou des dysfonctionnements dans un marché public peuvent être pénalement sanctionnés au titre du favoritisme. En effet l’élément intentionnel de l’infraction ne suppose pas que l’acheteur ait voulu favoriser l’attributaire ou nuire à un candidat évincé. Il suffit qu’une disposition du code des marchés publics ait été violée pour que l’infraction soit constituée. En ce sens il est possible de se demander si le délit de favoritisme a vraiment sa place dans une section du code pénal consacrée aux "manquements au devoir de probité".
– Il sera souligné au passage la particulière longueur de la procédure puisque le marché a été attribué en 2003 et que l’affaire n’a toujours pas été évoquée au fond. Dans l’hypothèse d’un renvoi devant le tribunal correctionnel, et de l’exercice des voies de recours (appel et cassation), l’issue finale de la procédure ne devrait pas être connue, dans le meilleur des cas, avant... 2014 soit plus de 10 ans après l’appel d’offres litigieux !
Textes de référence
– Article 432-14 du code pénal
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