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Harcèlement moral : le mauvais caractère pénalement répréhensible ?

Cour de cassation, chambre criminelle, 22 novembre 2011, N° 11-80935

Le mauvais caractère d’un élu peut-il être constitutif de harcèlement moral ?

 [1]


Oui si ce mauvais caractère se traduit par des atteintes à la dignité de l’agent. Est ainsi reconnu coupable de harcèlement moral, un élu d’une commune rurale (650 habitants) : colérique et autoritaire, le maire reprochait publiquement à la secrétaire son incompétence et sa lenteur sans prendre de gants. D’où deux tentatives de suicide de l’agent et des arrêts maladie à répétition. Pour entrer en voie de condamnation, les juridictions répressives prennent notamment appui sur des témoignages :

 d’élus décrivant le maire comme étant autoritaire, manipulateur et ayant le goût du pouvoir ;

 collègues de travail du maire (contrôleur des impôts de profession), le dépeignant comme menteur, sournois, hypocrite, égoïste, aimant dominer les autres en particulier les femmes.

Après le décès du maire en exercice, des élections anticipées sont organisées dans une commune du Cantal (650 habitants). Très vite les relations se tendent entre le nouveau maire et la secrétaire de mairie. Jugeant la secrétaire de mairie incompétente et lente, l’élu ne se prive pas d’humilier publiquement l’intéressée.


Tentatives de suicide et arrêts maladie

Un premier arrêt maladie en 2002, quinze jours après l’adoption de la loi de modernisation sociale réprimant le harcèlement moral, sonne comme un avertissement sans frais.

Deux ans plus tard, à la suite d’un entretien houleux au cours duquel l’élu, très en colère, s’est lancé dans un nouveau réquisitoire stigmatisant le comportement de la secrétaire, cette dernière tente de se défenestrer. Le lendemain, son médecin lui prescrit un arrêt de travail
après avoir constaté "un choc émotionnel entraînant un état dépressif grave" . L’arrêt maladie sera ainsi prolongé pendant 4 ans jusqu’à l’arrivée d’un nouveau maire aux élections de mars 2008.

Après six mois de mi-temps thérapeutique, la secrétaire de mairie reprend alors, en décembre 2008, ses 26 heures de service hebdomadaire en complément des 7 heures effectuées dans une commune voisine.


Plainte au pénal

La secrétaire de mairie se constitue partie civile devant les juridictions répressives. Elle impute ses arrêts maladie, ses deux tentatives de suicide [2] et la perte de 12 kg au cours de la seule année 2004 au harcèlement dont elle prétend avoir été victime. A l’appui de sa plainte, elle invoque une série d’agissements fautifs du maire caractérisés par :

 des reproches permanents [3], formulés parfois sous le coup de la colère et tendant à l’humilier y compris en présence de tiers ou du conseil municipal ; critiques contredites par les témoignages recueillis en faveur de la plaignante dont il ressort qu’elle donnait entière satisfaction jusqu’à l’arrivée du nouveau maire, comme dans la commune voisine où elle exerçait en complément ;

 le retrait de certaines tâches qui lui étaient confiées comme la rédaction des procès-verbaux de réunion du conseil municipal ou le secrétariat d’une association ;

 la réduction des heures d’ouverture de la mairie au public et le retrait par arrêté du 14 octobre 2004 de la délégation de signature en raison de la maladie en cours ;

 l’obligation d’établir des rapports journaliers de toutes les tâches accomplies alors que cette obligation volontairement vexante pour un cadre A n’avait jamais été formulée auparavant ;

 la baisse de plus de 3 points de sa notation ;

 la menace de saisir le conseil de discipline en faisant allusion à une lettre du 13 octobre 2004 adressée à l’intéressée à une époque où elle était en arrêt de travail.


Cabale politique ou élu pervers ?

Le maire se défend de tout comportement répréhensible dans l’exercice de son pouvoir hiérarchique. Soulignant l’incompétence de la partie civile, il dénonce une "cabale politique" destiné le déstabiliser dans un climat politique malsain au sein de la communauté de communes.

Les juridictions répressives [4] ne se montrent guère sensibles à l’argument, condamnent l’élu à huit mois d’emprisonnement avec sursis, 3 000 euros d’amende, et ordonnent une mesure d’affichage et de publication de la décision.

Pour entrer en voie de condamnation les juridictions du fond prennent notamment appui sur les témoignages recueillis non seulement auprès des élus de la commune mais également dans le milieu professionnel de l’élu, contrôleur des impôts de profession :

 les premiers dénoncent un climat de crainte, d’humiliation tendant à rabaisser la plaignante aux fins de la déstabiliser. La plupart des élus de la commune dénoncent l’autoritarisme du maire, sa volonté d’humilier, son goût du pouvoir et de la manipulation ;

 les seconds (collèges ou supérieurs hiérarchiques de l’élu au sein de l’administration fiscale) le décrivent comme menteur, sournois, hypocrite, égoïste, aimant dominer les autres en particulier les femmes. Ils ajoutent que le prévenu "triche sur ses horaires de travail et règle ses affaires communales sur son temps de travail".

Et les juges d’appel d’en conclure :

"il résulte des pièces de la procédure et des débats que le prévenu a pendant trois années pris en toute connaissance de cause à l’encontre de la secrétaire de mairie qui ne lui convenait pas, un ensemble de mesures vexatoires, injustes et inappropriées constitutives de l’infraction reprochée".


Mauvais caractère

L’élu se pourvoit en cassation reprochant notamment aux juges du fond d’avoir retenu dans les liens de la prévention des faits correspondants à des périodes où la plaignante était en arrêt maladie et n’était donc pas en situation de travail. S’il reconnaît par ailleurs avoir mauvais caractère, il reproche aux juges d’appel d’avoir déduit l’existence du harcèlement de ce seul trait caractériel sur la foi des témoignages d’élus, de collègues ou de supérieurs hiérarchiques.

La Cour de cassation n’y trouve rien là de choquant et confirme la condamnation du maire :

"la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable, et a ainsi justifié l’allocation, au profit de la partie civile, de l’indemnité propre à réparer le préjudice en découlant".

Il sera relevé au passage que l’élu a été également condamné au civil à indemniser la victime sur ses deniers personnels dès lors que les faits qui lui sont reprochés sont jugés constitutifs d’une faute personnelle.


Pas de peine d’affichage de la décision applicable en l’espèce

En revanche la Cour de cassation censure les juges du fond d’avoir prononcé la peine d’affichage de la décision. En effet au moment des faits cette peine n’existait pas : elle n’a été étendue au délit de harcèlement moral que par une loi de 2010. Or les principes de légalité de délits et des peines et de non rétroactivité des lois pénales plus sévères s’opposent à ce qu’une peine puisse s’appliquer à des faits commis avant son entrée en vigueur :

"en prononçant des peines complémentaires non prévues dans le code pénal à la date des faits, antérieure à l’entrée en vigueur des dispositions de l’article 222-50-1 issu de la loi du 9 juillet 2010, qui les a étendues à la répression du délit prévu par l’article 222-33-2 du même code, la cour d’appel a méconnu les texte et principe ci-dessus rappelés".

La Cour de cassation annule donc l’arrêt de la Cour d’appel de Riom mais uniquement quant au prononcé de cette peine par voie de retranchement. Les peines de huit mois d’emprisonnement avec sursis et de 3 000 euros d’amende sont donc en revanche confirmées.

Cour de cassation, chambre criminelle, 22 novembre 2011, N° 11-80935

[1Photo : © Alexander Kalina

[2Dont celle à la mairie.

[3Retards dans l’exécution de son travail, négligences, incompétence, lenteur.

[4Tribunal correctionnel Aurillac 17 décembre 2009 ; Cour d’appel de Riom 5 janvier 2011.