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Conseil municipal : pas d’entrave à la liberté d’expression

Cour Européenne des Droits de l’Homme, 12 avril 2012, no 54216/09

Les conseillers municipaux d’opposition disposent-ils d’une immunité lorsqu’ils critiquent, même violemment, la politique de la majorité municipale ?

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Aucun texte ne le prévoit expressément mais la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) estime que le débat démocratique exige une plus large liberté d’expression au sein des assemblées délibérantes. Les décideurs publics s’exposent en effet à un contrôle attentif de leurs faits et gestes et doivent montrer une plus grande tolérance aux critiques, mêmes virulentes, dont ils peuvent être l’objet. La CEDH juge ainsi contraire à la liberté d’expression la condamnation pour diffamation d’un élu d’opposition qui, à l’occasion d’un conseil municipal, a porté des accusations de corruption contre un adjoint.

Un conseiller d’opposition en séance du conseil municipal accuse un adjoint, par voie d’insinuations appuyées, d’avoir participé à l’attribution frauduleuse de marchés publics.

Le conseiller est condamné pour diffamation à 1500 euros d’amende ce que confirme la Cour de cassation. Après avoir ainsi épuisé les voies de recours internes, il saisit la CEDH et demande la condamnation de la France pour atteinte à la liberté d’expression.

Fidèle à sa jurisprudence, la Cour européenne des droits de l’homme lui donne raison et confirme que les élus exerçant des responsabilités doivent, dans l’exercice de leurs fonctions, accepter les critiques mêmes violentes :

 "l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou des questions d’intérêt général" ;

 "les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier : à la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens ; il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance".

 "dans ce domaine, l’invective politique déborde souvent sur le plan personnel ; ce sont les aléas du jeu politique et du libre débat d’idées, garants d’une société démocratique".

Poursuivant son raisonnement, la Cour européenne n’hésite pas à effectuer un parallèle avec l’immunité dont bénéficie les parlementaires :

"les propos litigieux ont été tenus au cours d’une réunion du conseil municipal (...). Partant, même si les déclarations du requérant n’étaient pas couvertes par une quelconque immunité parlementaire, elles ont été prononcées dans une instance pour le moins comparable au parlement pour ce qui est de l’intérêt que présente, pour la société, la protection de la liberté d’expression".

Et la Cour d’en conclure en une violation de l’article 10 de la Convention européenne.

Cour Européenne des Droits de l’Homme, 12 avril 2012, no 54216/09

[1Photo : © Alan Ottley