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Demande d’autorisation de plaider au nom de la commune : tous les coups sont-ils permis ?

Cour de cassation, chambre criminelle, 11 octobre 2011, N° 10-88657

Un opposant qui, par l’intermédiaire d’une demande préalable pour l’exercice d’une action au nom de la commune, accuse le maire de prise illégale d’intérêts peut-il se rendre coupable de diffamation ?

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Pas s’il présente des éléments sérieux à l’appui de sa demande. Peu importe que les accusations portées se révèlent finalement sans fondement, le requérant ayant manqué de prudence et de mesure dans l’expression. En effet, il n’a ainsi fait qu’exercer une faculté qui est ouverte à tous les contribuables par le code général des collectivités territoriales.

Un opposant accuse le maire de sa commune (9000 habitants) de prise illégale d’intérêts. Il adresse un courrier à l’élu lui demandant de saisir le conseil municipal de cette question pour se constituer partie civile contre X au nom de la commune...

Naïveté ou habile stratégie ?

Naïveté ? Pas si sûr : l’opposant se doute bien que le maire ne va pas s’auto-saborder ; mais une fois le refus du maire acté, il projette de demander aux juridictions administratives l’autorisation d’engager l’action au nom de la commune, comme cette faculté est ouverte à tous les contribuables [2].

De fait la situation du maire est pour le moins inconfortable : transmettre la demande au conseil c’est prendre le risque de donner de la publicité aux accusations, voire d’être mis en minorité s’il ne réussit pas à convaincre les conseillers de sa probité ; ne rien faire c’est donner l’impression de vouloir étouffer l’affaire, sans pouvoir s’expliquer sur le fond. Ce d’autant que l’opposant menace de révéler le contenu du courrier à l’ensemble du conseil municipal.

Aussi l’élu opte pour une troisième solution consistant à ne pas saisir le conseil municipal tout en ripostant par une plainte pour diffamation publique contre son opposant. Il oblige ainsi ce dernier, pour se défendre, à rapporter la preuve des accusations portées.

Stratégie qui se révèle payante. Du moins dans un premier temps...

Diffamation publique ou non publique ?

Le tribunal, puis la cour d’appel jugent en effet les accusations portées comme étant diffamatoires. Contrairement aux premiers juges, les magistrats d’appel estiment même que la diffamation est publique dès lors que le prévenu a exprimé sa volonté de divulguer le contenu du courrier adressé à l’élu auprès de tiers, lui ôtant ainsi son caractère confidentiel.

Avis que ne partage pas la Cour de cassation :

"en se déterminant ainsi, sans rechercher si cette volonté du requérant avait été suivie d’effet, et si cette lettre avait été effectivement divulguée auprès des conseillers municipaux, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision".

Bref en l’absence d’exécution de la menace de diffusion, le courrier reste confidentiel, et la diffamation, à la supposer caractérisée, ne peut être que non publique.

Manque de prudence non pénalement répréhensible

Mais l’intérêt de l’arrêt ne s’arrête pas là : pour dénier au prévenu le bénéfice de la bonne foi, et le condamner à 1000 euros d’amende pour diffamation publique envers un dépositaire de l’autorité publique, les juges d’appel ont souligné son manque de prudence et de mesure dans l’expression et l’animosité personnelle dont il fait preuve à l’égard d’un adversaire politique.

Or pour la Cour de cassation, un tel argument ne tient pas :

"en se déterminant ainsi, alors qu’il incombait au prévenu, qui invoquait la commission d’une infraction, de justifier dans sa lettre du bien fondé de l’action en justice qu’il requérait, et de démontrer que des éléments sérieux l’autorisaient à exercer cette démarche au titre de l’article L. 2132-5 du code général des collectivités territoriales, qui subordonne l’action en substitution d’un contribuable à une demande préalable adressée à la collectivité territoriale concernée de mettre en œuvre l’action en justice qui lui appartient, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision".

Autrement dit, le contribuable qui, à l’appui d’une demande préalable d’autorisation de plaider au nom de la commune, présente des éléments sérieux ne peut être reconnu coupable de diffamation. Et ce même si les accusations qu’il porte se révèlent finalement infondées. Son manque de prudence et de mesure dans l’expression ne peut être sanctionnée pénalement à ce titre.

Tous les coups sont-ils permis ?

Cela ne signifie pas, pour autant, que tous les coups soient alors permis :

 d’une part la Cour de cassation prend le soin de préciser qu’il appartient au plaignant d’apporter des éléments sérieux à l’appui de sa demande ;

 d’autre part si l’élu obtient au final une décision établissant son innocence, il pourra toujours contre-attaquer par une plainte en dénonciation calomnieuse si la mauvaise foi du délateur est avérée.

Cour de cassation, chambre criminelle, 11 octobre 2011, N° 10-88657

[1Photo : © Alexander Kalina

[2Sur le fondement de l’article L. 2132-5 du code général des collectivités territoriales.