Une entreprise peut-elle, au nom d’une collectivité territoriale, se constituer directement partie civile devant le juge d’instruction ?
[1]
Uniquement si l’entreprise est contribuable de la collectivité concernée et si une information judiciaire est déjà ouverte. Les dispositions du CGCT autorisant, sous condition, un contribuable à engager une action au nom d’une collectivité territoriale doivent s’articuler avec celles du code de procédure pénale relatives à la constitution de partie civile : la saisine directe du juge d’instruction n’est plus possible sans plainte préalable devant le procureur ou les services de police.
En août 2010, une entreprise dépose plainte des chefs de détournements de fonds et de biens publics, complicité et recel dans l’exécution d’une convention de concession conclue en 2004 entre la région Guadeloupe et une entreprise concurrente [2].
L’entreprise plaignante demande à la région de se joindre à sa plainte en se constituant partie civile. Devant le refus du conseil régional, l’entreprise obtient du tribunal administratif de Basse-Terre, l’autorisation de se constituer partie civile devant le doyen du juge d’instruction au nom de la région sur le fondement des dispositions de l’article L. 4143-1 du code général des collectivités territoriales.
En effet, aux termes de cet article, "tout contribuable inscrit au rôle de la région a le droit d’exercer, tant en demande qu’en défense, à ses frais et risques, avec l’autorisation du tribunal administratif, les actions qu’il croit appartenir à la région et que celle-ci, préalablement appelée à en délibérer, a refusé ou négligé d’exercer (...)".
Sur pourvoi de la région, le Conseil d’Etat précise que ces dispositions doivent s’articuler avec celles du code de procédure pénale (CPP).
Or depuis la loi du 5 mars 2007 [3], une victime ne plus se constituer directement partie civile devant le juge d’instruction si une information judiciaire n’est pas déjà ouverte. Il appartient préalablement à la victime de déposer plainte [4] et d’attendre la réponse du procureur de la République : ce n’est que si celui-ci classe la plainte sans suite, ou ne répond pas dans le délai de 3 mois suivant le dépôt de plainte, que la victime peut alors se constituer partie civile devant le juge d’instruction.
Ainsi, en l’espèce, faute pour la région d’avoir préalablement déposé plainte, l’entreprise ne pouvait pas directement se constituer partie civile devant le juge d’instruction au nom de la collectivité.
Cela ne signifie pas pour autant que, désormais, toute demande d’un contribuable de se constituer partie civile devant un juge d’instruction au nom d’une collectivité territoriale est vouée à l’échec. Mais il faut qu’il ait préalablement été autorisé à déposer plainte, au nom de la collectivité, devant le procureur de la République ou devant les services de police et de gendarmerie. Dans un second temps, si le procureur de la République ne répond pas dans le délai de 3 mois ou s’il classe la plainte sans suite, une constitution de partie civile devant le juge d’instruction sera alors envisageable.
Conseil d’État, 26 octobre 2011, N° 347254
[1] Photo : © Ene
[2] Société à qui la région avait concédé, notamment, la réalisation et l’exploitation d’un câble sous-marin en fibres optiques reliant la Guadeloupe à Porto-Rico, ainsi que les îles Saint-Martin et Saint-Barthélemy.
[3] Réforme de la procédure pénale consécutive à l’affaire Outreau
[4] Devant le procureur de la République ou devant les services de police judiciaire.