Le portail juridique des risques
de la vie territoriale & associative

Prescription des détournements occultes : la machine à remonter le temps

Cass crim 13 septembre 2006 n° de pourvoi : 05-84111 Publié au bulletin

L’Observatoire rappelle aux élus qui compteraient sur l’écoulement du temps pour échapper aux poursuites pénales que la prescription ne commence à courir qu’à partir du jour où les faits sont découverts.


Un contrôle de la chambre régionale des comptes d’Auvergne dénonce "les conditions de prise en charge par une commune de la rémunération de certains agents affectés au groupe des élus de la mairie" et met "en doute la réalité du travail de ces personnes au profit de la commune". Une dénonciation parvient au procureur de la République se rapportant aux mêmes faits. Une enquête préliminaire est ouverte le 29 août 2000. Un agent municipal confirme que lui-même et deux autres personnes avaient été rémunérés sur le budget de la commune, de décembre 1985 à avril 1997, au titre du secrétariat des élus du groupe majoritaire alors qu’ils étaient en réalité affectés à l’exploitation d’une radio locale entretenant des liens privilégiés avec la majorité municipale.

Les deux maires successifs de la commune sont poursuivis pour abus de confiance et détournement de fonds publics. Après que la Cour de cassation ait annulé une première relaxe prononcée par la Cour d’appel de Riom, la Cour d’appel de renvoi (CA Bourges 26 mai 2005) condamne le maire qui a initié le système à 6 mois d’emprisonnement avec sursis et celui qui l’a fait perdurer à 5 mois d’emprisonnement avec suris.
Les deux élus sont en outre condamnés à un an d’interdiction des droits de vote et d’éligibilité. Ils sont reconnus coupables d’abus de confiance pour les faits antérieurs au 1er mars 1994 (date d’entrée en vigueur du nouveau code pénal) et de détournements de fonds publics pour les faits postérieurs à cette date : "l’affectation, en connaissance de cause, des agents municipaux, à des tâches non conformes aux emplois prévus, implique le détournement de leur rémunération, opérée par prélèvement sur le budget de la commune".

Les élus se pourvoient en cassation en invoquant principalement la prescription de l’action publique (les faits remontant pour les plus anciens à l’année 1985) et la loi d’amnistie de 1995 sur le financement des partis politiques.

Sur le premier point la Cour de cassation rejette le moyen et approuve les juges d’appel d’avoir considéré que l’emploi véritable des agents municipaux affectés au groupe des élus de la majorité a été dissimulé "jusque et y compris pendant les opérations de contrôle de la Chambre régionale des comptes d’Auvergne en 2000, et que les agissements frauduleux des prévenus n’ont pu finalement être mis à jour que grâce aux investigations approfondies de cet organisme de contrôle et à la dénonciation" reçue par le procureur de la République. Dans ces conditions bien que les faits aient débuté en 1985, "le premier acte interruptif de prescription est intervenu le 29 août 2000, date à laquelle le procureur de la République, a ordonné une enquête".

Sur le second moyen tiré de la violation de la loi du 15 janvier 1990 en application duquel sont amnistiées, sauf en cas d’enrichissement personnel de leurs auteurs, toutes infractions commises avant le 15 juin 1989 en relation avec le financement direct ou indirect de campagnes électorales ou de partis et de groupements politiques (à l’exclusion des infractions prévues par les articles 132 à 138 et 175 à 179 du code pénal) la Cour donne raison aux prévenus pour les faits antérieurs au 15 juin 1989, dès lors qu’en l’espèce aucun enrichissement personnel n’a pu être constaté.

La Cour d’appel ne pouvait en effet refuser d’appliquer la loi d’amnistie aux motifs que les faits se sont poursuivis postérieurement au 15 juin 1989 dès lors "que le délit d’abus de confiance résultant du paiement de salaires rémunérant des emplois fictifs est une infraction instantanée, consommée lors de chaque paiement indu". Cette cassation reste cependant sans effet sur la condamnation des deux élus, la Cour de cassation considérant que la peine prononcée à leur encontre est justifiée.