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Maltraitance : obligation de signalement et responsabilités

CAA Nancy 30 novembre 2006 N° 05NC00618 Inédit

Le directeur de l’établissement a-t-il commis une faute en signalant au Parquet des suspicions d’attouchements sexuels dénoncés par un mineur sans effectuer d’enquête préalable pour en vérifier le bien fondé ?


Le principal d’un collège est informé par les parents d’un élève de ce que ce dernier s’était plaint d’avoir été victime d’attouchements sexuels de la part du professeur d’éducation physique et sportive.
Après avoir informé l’enseignant des accusations portées à son encontre, et pris attache de l’inspecteur d’académie et du rectorat, le directeur d’établissement opère trois jours plus tard un signalement au parquet. Informé du déclenchement de la procédure, l’enseignant se suicide en laissant une lettre à ses proches dans laquelle il proclame son innocence.

La famille de l’enseignant, estimant que le directeur de l’établissement a agi avec précipitation et témérité, saisit les juridictions administratives afin que la responsabilité de l’Etat soit reconnue. Selon elle, dès lors qu’il s’agissait de simples suspicions d’attouchements et qu’il n’y avait pas d’urgence, l’administration devait, selon les termes d’une circulaire du 22 mai 1997, effectuer une enquête préalable avant toute saisine du procureur de la République.

Tel n’est pas l’avis des juridictions administratives :

1° "En vertu de l’article 434-3 du code pénal, le fait pour quiconque ayant eu connaissance d’atteintes sexuelles infligées à un mineur de quinze ans de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est passible d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement" ;

2° "Aux termes de l’article 40 du code de procédure pénale, toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbal et actes qui y sont relatifs" ;

3° "Il ne résulte pas des dispositions législatives précitées que l’autorité administrative soit tenue de mettre en oeuvre une enquête administrative préalablement au signalement auprès du procureur de la République". Au demeurant les requérants ne sauraient "utilement se prévaloir de la circulaire du ministre de l’éducation nationale du 15 mai 1997 relative notamment aux cas de maltraitance commis en dehors de l’institution scolaire, qui n’était pas applicable en l’espèce".

4° Il ne résulte pas plus des dispositions précitées "que l’obligation de dénonciation auprès de l’autorité judiciaire des faits délictueux ou criminels, qui s’impose à l’autorité administrative, soit limitée au seul cas dans lequel celle-ci a acquis la certitude de l’exactitude des faits reprochés à l’agent" ;

5° "Dans les circonstances de l’espèce, l’autorité administrative, qui n’a pas à se substituer à l’autorité judiciaire dans la qualification pénale des faits litigieux, pouvait légitimement estimer, compte tenu des révélations faites par les parents de l’élève concerné et du degré suffisant de vraisemblance lié aux suspicions d’attouchement, que les faits invoqués étaient de nature à justifier la mise en oeuvre de la procédure d’information des autorités judiciaires".

6° Dans le cadre de l’action pénale engagée à l’encontre de l’élève pour dénonciation calomnieuse, même "s’il est vrai que la chambre spéciale des mineurs a reconnu que « l’accusation portée à l’encontre du professeur était dénuée de tout fondement »", le tribunal des enfants a "admis la crédibilité des propos tenus par l’élève".

7° "En signalant, après en avoir avisé sa hiérarchie, les faits reprochés à l’enseignant trois jours après la plainte présentée par les parents de l’élève, tout en s’efforçant d’organiser une rencontre entre la famille et l’enseignant, qui n’a pu néanmoins avoir lieu du fait des tergiversations des parents, le principal du collège s’est conformé aux prescriptions posées par l’article 40 précité du code de procédure pénale et rappelées par la circulaire du ministre de l’éducation nationale en date du 26 août 1997".
8° "Conformément à l’obligation de discrétion professionnelle, ni le principal du collège ni aucune autre autorité administrative n’ont rendu l’affaire publique".
Et les magistrats de conclure que "les requérants ne sont cependant pas fondés à soutenir que l’administration aurait agi dans la précipitation et en méconnaissance des dispositions législatives et réglementaires applicables" ni que "les agissements de l’administration sont constitutifs d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat".