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Favoritisme et prise illégale d’intérêts : un rasoir à deux lames

Cour de cassation, chambre criminelle, 29 juin 2011, N° 10-87498

Le fait pour un maire de demander à une entreprise, au mépris des règles de la commande publique, d’exécuter des travaux supplémentaires en faveur d’un conseiller municipal est-il constitutif de prise illégale d’intérêts bien que le maire n’ait retiré aucun intérêt particulier de cette opération ?

 [1]


Oui. L’article 432-12 du code pénal prohibe la prise d’un intérêt "quelconque" fût-il indirect ( moral, familial, amical, politique...). Ainsi un maire qui, contournant les règles du code des marchés publics, demande à l’entreprise attributaire d’un marché de réaliser des travaux supplémentaires pour permettre à un conseiller municipal d’amarrer son bateau de pêche dans le port communal, se rend coupable non seulement de favoritisme mais également de prise illégale d’intérêts. Peu importe que les travaux litigieux soient aussi utiles à d’autres usagers du port.

Un conseil municipal autorise le maire à attribuer selon une procédure adaptée formalisée, un marché public relatif à des travaux de dragage d’un avant-port.

Un élu municipal, nouveau propriétaire d’un gros bateau de pêche, fait observer qu’il ne peut pas accéder au port en raison d’un dépôt de sédiment. Il est demandé à l’entreprise attributaire de réaliser de nuit les travaux nécessaires non compris dans le marché initial.

Une quinzaine de jours plus tard, le maire prend un arrêté portant approbation d’un avenant au marché de dragage.

Informé par le préfet de l’obligation de solliciter l’avis de la commission d’appel d’offres préalablement à la signature dudit avenant, le maire fait marche arrière et annule l’avenant de régularisation.

Trop tard : des poursuites sont engagées pour favoritisme et prise illégale d’intérêts. Le maire est condamné à dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve, 10 000 euros d’amende et cinq ans de privation des droits civiques, civils et de famille, ce que confirme la Cour de cassation.

1° Favoritisme

Les travaux supplémentaires demandés à l’entreprise [2] ont généré une augmentation du prix du marché de plus de 5 %.

La conclusion d’un avenant était donc nécessaire. Les juges en déduisent "qu’en autorisant de tels travaux, non compris dans l’acte d’engagement, lesquels étaient pour partie soumis à une réglementation spéciale, ainsi qu’à des contraintes techniques plus onéreuses, le maire a rompu la concurrence et l’égalité de traitement des candidats, lesquels n’ont pu concourir sur ces derniers qui ne figuraient pas dans l’appel d’offres".

Quant à la connaissance par l’élu du caractère illégal des travaux, elle ne fait pas de doute aux yeux des juges au regard notamment des conditions d’exécution des travaux.

La Cour de cassation approuve le raisonnement :

"en l’état de ces énonciations, procédant de son pouvoir souverain d’appréciation des faits, et dès lors que les travaux supplémentaires devaient faire l’objet d’un avenant approuvé par la collectivité délibérante, pris après avis de la commission d’appel d’offres, en vertu de l’article 8 de la loi du 8 février 1995 relative aux marchés publics et aux délégations de service public alors applicable, disposition de nature à garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics, au sens de l’article 432-14 du code pénal, en ce qu’elle permet à la commission d’appel d’offres d’apprécier la légalité d’un avenant au regard de l’économie du marché et de son objet, la cour d’appel, qui a statué dans les limites de sa saisine et s’est justement référée à l’acte d’engagement pour en déduire le prix forfaitaire du marché, a justifié sa décision".

2° Prise illégale d’intérêts

Le maire contestait sa condamnation pour prise illégale d’intérêts en objectant qu’il n’avait aucun intérêt particulier dans l’opération et que les travaux engagés ont également bénéficié aux autres usagers du port.

Peu importe lui répond la Cour de cassation :

"en ordonnant, à la demande de M. C..., en toute connaissance de cause, en dehors du marché et de toute procédure légale, des travaux supplémentaires, le maire a favorisé sciemment ce dernier, élu municipal, et a ainsi pris un intérêt indirect dans les opérations visées".

Cour de cassation, chambre criminelle, 29 juin 2011, N° 10-87498

[1Photo : © Antonio Ruiz

[2Qui s’expliquent en partie par la nécessité de " sur-draguer " l’avant-port afin de pouvoir y déposer les sédiments prélevés dans le port.