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Permis de conduire retiré, licenciement pour faute grave justifié ?

Cour de cassation, chambre sociale, 3 mai 2011, N° 09-67464

Le retrait du permis de conduire, à la suite d’infractions au code de la route commises en dehors de l’exécution du contrat de travail, peut-il justifier un licenciement disciplinaire pour faute grave ?

 [1]


Non : un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail. Or le fait pour un salarié qui utilise un véhicule dans l’exercice de ses fonctions de commettre, dans le cadre de sa vie personnelle, une infraction entraînant la suspension ou le retrait de son permis de conduire ne constitue pas une méconnaissance par l’intéressé de ses obligations découlant de son contrat de travail.

Un conducteur de véhicules de nettoyage est licencié pour faute grave, après avoir informé son employeur du retrait de son permis de conduire à raison de la perte de la totalité de ses points.

L’employeur motive la faute grave en relevant que le salarié "n’était plus en mesure de conduire le véhicule mis à sa disposition dans le cadre de son activité professionnelle".

De fait, la chambre sociale de la Cour de cassation a déjà jugé que "le fait pour un salarié affecté en exécution de son contrat de travail à la conduite de véhicules automobiles de se voir retirer son permis de conduire pour des faits de conduite sous l’empire d’un état alcoolique, même commis en dehors de son temps de travail, se rattache à sa vie professionnelle" [2].

Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire

Mais cette fois la Cour de cassation, approuvant en cela les juges du fond, considère que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse :

 "un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail" ;

 "le fait pour un salarié qui utilise un véhicule dans l’exercice de ses fonctions de commettre, dans le cadre de sa vie personnelle, une infraction entraînant la suspension ou le retrait de son permis de conduire ne saurait être regardé comme une méconnaissance par l’intéressé de ses obligations découlant de son contrat de travail."

Ainsi en l’espèce, dès lors que le salarié s’est vu retirer son permis de conduire à la suite d’infractions au code de la route commises en dehors de l’exécution de son contrat de travail, son licenciement prononcé pour motif disciplinaire, est dépourvu de cause réelle et sérieuse. L’employeur est donc tenu verser à l’intéressé les salaires de la période de mise à pied et l’indemnité compensatrice de préavis.

Revirement de jurisprudence ou simple nuance ?

Ce faisant, la chambre sociale de la Cour de cassation semble s’aligner sur la jurisprudence du Conseil d’Etat qui a déjà statué dans le même sens s’agissant du licenciement d’un salarié protégé [3].

S’agit-il pour autant d’un revirement de jurisprudence ? La généralité de l’attendu de principe et la reprise de la formulation retenue par le Conseil d’Etat peuvent le laisser entrevoir. Il reste cependant encore prématuré d’en conclure à un revirement définitif. En effet dans les affaires où la Cour de cassation avait jusqu’ici validé le licenciement pour faute grave de salariés consécutivement au retrait de leur permis de conduire, c’était après avoir constaté que les salariés en question s’étaient rendus coupables de conduite en état d’ébriété. Dans le même temps, la Cour de cassation a jugé que ne constituait pas un motif suffisant pour caractériser une faute grave le retrait de permis d’un salarié consécutif à un excès de vitesse commis dans un cadre privé [4].

Or, dans la présente espèce, le retrait du permis de conduire était consécutif à une perte de la totalité des points sans précision sur la nature des infractions routières commises par le salarié.
Il est donc possible que la Cour de cassation distingue selon les infractions ayant conduit au retrait du permis et qu’elle ne mette pas sur le même plan un retrait de permis consécutif à la commission d’une infraction routière particulièrement grave, comme un délit de conduite en état d’ébriété [5], et un retrait de permis consécutif à la perte de points par une succession de petites infractions.

Cette interrogation ne manquera pas d’être levée rapidement par la Cour de cassation, tant la jurisprudence est relativement abondante sur cette question.

Un licenciement pour un motif personnel non disciplinaire reste possible

En tout état de cause, cette solution ne concerne que les seuls licenciements pour motif disciplinaire. Un licenciement pour motif personnel non disciplinaire d’un salarié affecté, au titre de son contrat de travail, à la conduite d’un véhicule et qui ne peut faire l’objet d’un reclassement, reste donc possible. En effet, le salarié n’est plus en mesure d’exécuter les missions qui lui sont confiées. Mais à la différence d’un licenciement pour faute grave, l’intéressé aura alors droit à l’indemnité compensatrice de préavis, ainsi qu’à l’indemnité légale de licenciement [6].

Sans oublier, enfin, que le retrait du permis de conduire peut avoir des incidences sur la bonne exécution du salarié de ses missions (retards, absences...) qui pourront alors être légitimement sanctionnées par l’employeur.

Bref, malgré les assouplissements apportés par la chambre sociale de la Cour de cassation, dont la véritable portée reste encore à préciser, le retrait du permis de conduire reste lourd de conséquences pour les salariés concernés. Une raison de plus pour adopter une conduite apaisée et responsable.

Cour de cassation, chambre sociale, 3 mai 2011, N° 09-67464

[1Photo : © Galam

[2Cour de cassation, chambre sociale, 2 décembre 2003, N°01-43227 ; Cour de cassation, chambre sociale, 19 mars 2008, N°06-45212 ; Cour de cassation, chambre sociale, 22 septembre 2009, N°08-42304 .

[3Conseil d’État, 15 décembre 2010, N° 316856

[4Cour de cassation, chambre sociale, 19 septembre 2007, N° 06-40150

[5Qui justifierait un licenciement pour faute grave, même si les faits ont été commis en dehors de l’exécution du contrat de travail

[6Pour un exemple voir Cour de cassation, chambre sociale, 24 janvier 2007, N° 05-41598