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Du droit pour un élu de critiquer vivement le préfet

Cour de cassation, chambre criminelle, 29 mars 2011, Cour de cassation, N° 10-85887

Un élu local peut-il critiquer vivement le préfet sans se rendre coupable de diffamation ?

 [1]


Oui dès lors que les critiques s’inscrivent dans un débat sur un sujet d’intérêt général et ne dépassent pas les limites admissibles de la liberté d’expression.

Dans une interview accordée à un quotidien régional, le président du conseil général du Tarn-et-Garonne critique le comportement du préfet dans la gestion des dossiers de l’extension d’une usine de retraitement des déchets et du transfert de la gestion des routes nationales au département.

Poursuivi pour diffamation, l’élu est condamné par la Cour d’appel de Paris. A titre de réparation complémentaire, la Cour ordonne la publication d’un communiqué judiciaire dans le quotidien.

Invité à réagir à cette condamnation dans les colonnes du journal, le président du Conseil général persiste et signe, jugeant sa condamnation "incompréhensible".

Ce qui lui vaut de nouvelles poursuites pour diffamation et une nouvelle condamnation à 1000 euros d’amende.

Mais la Cour de cassation, casse et annule l’arrêt, au nom de la liberté d’expression :


 "la liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l’article 10 [de la Convention européenne des droits de l’homme]" ;

 " le propos incriminé, qui s’inscrivait dans la suite d’un débat sur un sujet d’intérêt général relatif aux rapports entretenus entre l’Etat et les collectivités territoriales, à l’occasion de l’extension d’une usine de retraitement des déchets et du transfert de la gestion des routes nationales au département, ne dépassait pas les limites admissibles de la liberté d’expression dans la critique, par le président du conseil général, de l’action du représentant de l’Etat".

On ressent à la lecture de cet arrêt une influence très nette de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme pour laquelle les hommes politiques et les fonctionnaires se doivent d’être tolérants à l’égard des critiques, mêmes vives, dont ils peuvent être l’objet dans l’exercice de leurs fonctions. C’est dire que les conséquences de cet arrêt sont réversibles : favorables ici à l’élu poursuivi, les motivations qui ont conduit à la relaxe invitent aussi les élus à savoir accepter les attaques qui s’inscrivent dans un débat sur un sujet d’intérêt général.

Cour de cassation, chambre criminelle, 29 mars 2011, Cour de cassation, N° 10-85887

[1Photo : © Dolnikov Denys