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Poursuite de la relation contractuelle malgré un vice affectant le contrat

Conseil d’État, 21 mars 2011, N° 304806

Une commune peut-elle considérer ne pas être liée par un contrat au motif que la délibération autorisant le maire à signer la convention n’a pas été transmise au contrôle de la légalité avant la signature dudit contrat ?

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Non : ce seul vice, compte-tenu de l’exigence de loyauté des relations contractuelles, n’est pas suffisamment grave pour que le juge doive annuler le contrat ou l’écarter pour régler un litige relatif à son exécution.

Dans le cadre d’une opération d’extension d’une zone industrielle, deux communes créent un syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM).

Par une convention signée par leurs deux maires en 1986, la commune d’accueil de la zone s’engage à verser à la commune voisine une fraction des sommes perçues au titre de la taxe professionnelle, afin de tenir compte de la diminution de recettes entraînée par la relocalisation, dans la zone industrielle ainsi créée, d’entreprises jusqu’ici implantées sur le territoire de la commune voisine.

10 ans plus tard, le maire de la commune d’accueil de la zone informe son homologue de la résiliation de la convention.

La commune éconduite conteste en justice cette résiliation unilatérale.

Le tribunal administratif et la cour administrative d’appel constatent la nullité de la convention signée en 1986 au motif que les délibérations des deux conseils municipaux, autorisant les maires de ces communes à la signer, n’ont été transmises à la sous-préfecture que postérieurement à la signature de la convention. Et les juges d’en conclure que la demande dirigée contre la résiliation de cette convention est ainsi privée d’objet.

Dans un arrêt didactique, le Conseil d’Etat apporte plusieurs précisions.

1° L’exigence de loyauté des relations contractuelles

Le Conseil d’Etat censure, en premier lieu, la position des juges du fond qui avaient estimé que le contrat initial était nul :

si "l’absence de transmission de la délibération autorisant le maire à signer un contrat avant la date à laquelle le maire procède à sa signature constitue un vice affectant les conditions dans lesquelles la commune a donné son consentement", il reste qu’"eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, ce seul vice ne saurait être regardé comme d’une gravité telle que le juge doive annuler le contrat ou l’écarter pour régler un litige relatif à son exécution".

2° Voies de droit dont dispose une partie à un contrat administratif qui a fait l’objet d’une mesure de résiliation

Le Conseil d’Etat précise, ensuite, les voies de droit dont dispose une partie à un contrat administratif qui a fait l’objet d’une mesure de résiliation :


 "le juge du contrat, saisi par une partie d’un litige relatif à une mesure d’exécution d’un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité" ;

 "toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d’une telle mesure d’exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles" ;

 elle doit exercer ce recours, y compris si le contrat en cause est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle elle a été informée de la mesure de résiliation" ;

 "de telles conclusions peuvent être assorties d’une demande tendant, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l’exécution de la résiliation, afin que les relations contractuelles soient provisoirement reprises".

3° L’office du juge du contrat saisi d’un recours de plein contentieux tendant à la reprise des relations contractuelles

Le Conseil d’Etat précise enfin que, saisi d’une demande tendant à la suspension d’une mesure de résiliation d’une convention, le juge des référés doit en premier lieu vérifier que l’exécution du contrat n’est pas devenue sans objet.

Il lui appartient, ensuite, d’apprécier si la condition d’urgence est réunie en prenant en compte :


 "d’une part les atteintes graves et immédiates que la résiliation litigieuse est susceptible de porter à un intérêt public ou aux intérêts du requérant, notamment à la situation financière de ce dernier ou à l’exercice même de son activité" ;

 "d’autre part l’intérêt général ou l’intérêt de tiers, notamment du titulaire d’un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse, qui peut s’attacher à l’exécution immédiate de la mesure de résiliation".

Il doit, enfin, déterminer si le moyen soulevé est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la validité de la mesure de résiliation litigieuse. A cette fin, le juge des référés doit "apprécier si, en l’état de l’instruction, les vices invoqués paraissent d’une gravité suffisante pour conduire à la reprise des relations contractuelles et non à la seule indemnisation du préjudice résultant, pour le requérant, de la résiliation".

Pour autant, en l’espèce, le Conseil d’Etat constate que la commune qui demande la reprise des relations contractuelles n’a pas réagi dans le délai de deux mois qui lui était imparti. En effet la demande de la commune dirigée contre la résiliation a été enregistrée au greffe du tribunal administratif près de quatre ans après qu’elle eut été informée de la résiliation. L’occasion pour le Conseil d’Etat de préciser dans un dernier considérant pédagogique :

"qu’aucun principe ni aucune disposition, notamment pas les dispositions de l’article R. 421-5 du code de justice administrative, qui ne sont pas applicables à un recours de plein contentieux tendant à la reprise des relations contractuelles, n’imposent qu’une mesure de résiliation soit notifiée avec mention des voies et délais de recours" ;

Conseil d’État, 21 mars 2011, N° 304806

[1Photo : © Lfoto