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Marchés publics : un port trop sur mesure...

Cass crim 6 avril 2005, inédit

50 000 euros d’amende et 5 ans d’inélégilibilité outre 15 mois d’emprisonnement avec sursis. Au-delà d’un cas très particulier, mieux vaut prendre la bonne mesure des attendus de cet arrêt de la Cour de cassation !

Une commune corse décide d’agrandir son port de plaisance. Après appel d’offres, le marché est notifié en décembre 1993. Des irrégularités ayant été constatées dans le montage financier du projet, le maire de la commune est mis en examen courant 1998 pour favoritisme et prise illégale d’intérêts.

Outre les conditions de passation du marché initial concernant l’extension du port, il lui est également reproché la signature d’un avenant au marché concernant la construction d’une route et les liens commerciaux existant entre ses sociétés et l’entreprise attributaire du marché. Il est condamné par la Cour d’appel de Bastia le 30 juin 2004 à 15 mois d’emprisonnement avec sursis, 50 000 euros d’amende et à 5 ans d’interdiction des droits de vote, d’éligibilité, d’exercice d’une fonction juridictionnelle et d’exercer une fonction publique.

Dans un arrêt du 6 avril 2005, la Cour de cassation confirme cette condamnation considérant, selon la formule consacrée, que la Cour d’appel a "sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous leurs éléments constitutifs les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable".

Certains moyens soulevés par le prévenu auraient peut-être appelé une réponse plus circonstanciée, mais la défense du prévenu a sans doute souffert des intérêts patrimoniaux pris par l’élu dans l’attribution du marché.


1° Variante trop compétitive :

La société retenue avait présenté une variante majorant de 1,2 % son offre de base mais restait, aux dires du prévenu, la mieux disante. Il lui est notamment reproché de ne pas avoir reconsulté les autres candidats, pour les inviter à présenter eux-mêmes des offres sur la base de cette variante. Les magistrats reconnaissent que ces précautions n’étaient pas imposées par les textes mais considèrent qu’elles étaient rendues nécessaires par l’importance du marché et par le caractère limité des capacités financières de la commune.

On peut pourtant se demander, avec le conseil du prévenu, si la communication aux autres candidats de la variante déposée par l’entreprise concurrente était légalement possible et n’aurait pas constitué, serait-on tenté d’ajouter, un autre délit de favoritisme ! On peut donc regretter que les magistrats de la Cour de cassation n’aient pas jugé opportun de répondre à ce moyen et n’aient pas expurgé la condamnation de motifs qui pouvaient paraître surabondants.

Il faut dire que la lecture de l’arrêt laisse entendre que le cahier des charges a été rédigé dans le seul but de lancer les candidats potentiels vers une fausse piste pour mieux valoriser la variante du candidat retenu. C’est ainsi qu’il est relevé :

 "qu’en lançant un appel d’offres présentant la digue en enrochement comme solution de base, la municipalité a délibérément trompé les entreprises susceptibles de répondre à l’appel d’offres" ;

 "que la DDCCRF n’a pas été convoquée aux réunions de la commission" ;

 que si la commission s’est réunie pour recueillir les premières offres, le maire "ne l’a pas réunie après l’étude complémentaire sollicitée ce qui fait que la décision finale d’attribution du marché n’a pas été prise en décembre 1993 par la commission mais par le seul maire assisté" d’un ingénieur de la DDE (également poursuivi) ;

 "que les membres de cette commission n’ont jamais été officiellement informés de l’estimation de la Direction départementale de l’équipement ce qui fait que, privés d’une information essentielle, ils n’ont pas été mis en mesure par les deux prévenus d’apprécier si les offres reçues étaient d’un montant raisonnable ou s’il était nécessaire de déclarer la première phase infructueuse" ;

 que l’entreprise retenue "étant la seule à proposer une variante, la solution technique finalement retenue n’a fait l’objet d’aucune mise en concurrence" ;

 les deux élus "pouvaient pourtant, après réception des offres, solliciter d’autres entreprises afin qu’elles envoient éventuellement un devis complémentaire sur la base de cette variante ;

 "qu’il était d’autant plus indispensable de procéder ainsi, même sans obligation légale, que le montant du marché proposé par la société était très élevé et que, à l’époque, les capacités financières de la commune étaient limitées" ;

 "qu’avant même que l’appel d’offres soit lancé les prévenus avaient engagé des discussions avec la société et connaissaient le montant du marché qui serait définitivement signé".


2° Avenant modifiant l’économie du marché

Par avenant au marché initial, l’entreprise retenue avait construit une route de front de mer desservant le port pour un montant de 4,7 millions de francs... Les magistrats d’appel, confirmés par ceux de cassation, considèrent, sans surprise, qu’il s’agit là d’une modification substantielle de l’économie du marché initial justifiant un nouvel appel à la concurrence :

"à supposer même que la construction de la route puisse faire un tout techniquement homogène avec la construction de la digue, les prévenus devaient alors lancer un appel d’offres pour le tout, afin que la concurrence s’exerce dans les conditions légales également sur l’ensemble des travaux prévus". Le moyen de défense de l’élu tiré de la possibilité, à l’époque des faits, de modifier l’économie du marché en cas de sujétion technique imprévue fait d’autant plus figure de clause de style que le choix de l’élu n’était pas complètement désintéressé.


3° Attribution intéressée

Toutes les irrégularités relevées dans la procédure de passation de marchés publics prennent un relief particulier lorsque l’on apprend que l’entreprise favorisée a acheté, pour plusieurs millions de francs, des matériaux de carrière à une société du groupe que dirigeait l’élu qui a également réalisé en sous-traitance, la plus grande partie des travaux concernant la desserte du port ... " (pour un montant de 3 millions de francs).