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Politique gouvernementale critiquée, révocation justifiée ?

Conseil d’État, 12 janvier 2011, N° 338461

Un fonctionnaire peut-il être révoqué pour avoir publiquement critiqué la politique du gouvernement ?


 [1]

Pas nécessairement. Si un tel manquement au devoir de réserve justifie une sanction disciplinaire, il ne justifie pas pour autant une radiation des cadres. Est ainsi jugée manifestement disproportionnée la radiation des cadres prise contre un gendarme ayant publiquement critiqué le rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur dès lors que les propos de l’intéressé sont restés mesurés et s’inscrivaient dans le cadre d’une critique de fond sans caractère polémique.


En décembre 2008, un chef d’escadron de la gendarmerie nationale cosigne un article publié sur internet critiquant la politique gouvernementale de rattachement de la gendarmerie au ministère de l’intérieur. Il confirme ses propos à la radio au cours d’une émission consacrée à ce thème.

En mars 2010, soit plus d’un an après les faits, le président de la République décrète sa radiation des cadres par mesure disciplinaire.

Le Conseil d’Etat valide le principe d’une sanction disciplinaire : les interventions médiatiques de l’intéressé, au moment même où la politique d’organisation des deux grands services français dédiés à la sécurité publique était en débat devant le Parlement, excèdent les
limites que les militaires doivent respecter en raison de la réserve à laquelle ils sont tenus à l’égard des autorités publiques. De telles critiques sont ainsi de nature à justifier le prononcé d’une sanction disciplinaire.

Peu importe "que l’intéressé collabore, avec l’accord de sa hiérarchie, à des travaux du Centre national de la recherche scientifique, qualité qui ne lui confère pas le statut de chercheur et ne lui permet en tout état de cause pas de se prévaloir de la liberté d’expression reconnue aux universitaires". Peu importe également que le gendarme occupe un rang modeste dans la hiérarchie militaire.

Le Conseil d’Etat juge néanmoins qu’une radiation des cadres est, en l’espèce, manifestement disproportionnée compte tenu de la mesure des propos tenus et de l’excellente manière de servir du militaire [2] :

"Considérant toutefois qu’eu égard à l’ensemble des données de l’espèce et notamment à la teneur des propos tenus qui expriment une critique de fond présentée comme une défense du corps d’appartenance de l’intéressé et formulée en termes mesurés, sans caractère polémique, ainsi qu’à l’excellente manière de servir de cet officier attestée par les notations produites au dossier, l’autorité disciplinaire, qui disposait d’un éventail de sanctions de natures et de portées différentes, notamment de la possibilité de prendre, au sein même du troisième groupe de sanctions, une mesure de retrait d’emploi allant jusqu’à douze mois en vertu des dispositions de l’article L. 4138-15 du code de la défense, a, en faisant le choix de la plus lourde, celle de la radiation des cadres, qui met définitivement fin au lien entre le militaire et la gendarmerie, prononcé à l’encontre de ce dernier une sanction manifestement disproportionnée".

Conseil d’État, 12 janvier 2011, N° 338461

[1Photo : © Emmanuelda

[2Comme l’atteste sa notation.