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Homicide involontaire : une relaxe au goût amer

Tribunal correctionnel de Pontoise 16 janvier 2004

Accident sur une voie ferrée non clôturée bien que située à proximité d’un lotissement : le maire et le DST responsables ?

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En février 1994, un enfant de 10 ans est mortellement percuté par un train en traversant une voie ferrée à laquelle il avait accédé après avoir escaladé un talus. L’enquête permet d’établir qu’à cet endroit aucune clôture n’empêchait l’accès à la voie ferrée et que l’enfant résidait dans un lotissement jouxtant la voie ferrée. Sont alors mis en examen du chef d’homicide involontaire :

 les directeurs régionaux successifs du lotisseur

 le chef du district de la SNCF

 et... le maire et le directeur des services techniques de la commune (6000 habitants) !

Il en effet relevé par l’accusation :

1° qu’en avril 1988, le conseil municipal de la commune a émis un avis favorable à la désignation du lotisseur comme maître d’ouvrage et a accepté le classement dans le domaine public communal des voiries, ouvrages publics et réseaux divers ;

2° qu’en juin 1988, le maire de la commune et la société retenue ont conclu une convention confiant à la ville la totalité de la maîtrise d’oeuvre des travaux concernant les réseaux et ouvrages divers. C’est le directeur des services techniques qui assume cette mission.

3° qu’en novembre 1988, un arrêté municipal autorise la construction et l’aménagement du lotissement.

4° qu’en octobre 1990, un arrêté d’alignement fixe les limites des terrains dépendant du domaine public ferroviaire et énonce que le pétitionnaire devra établir et maintenir sa clôture sur la propriété et qu’il en résulte que le directeur des services techniques devait s’assurer du respect de cette obligation par le lotisseur.

5° que le maire a été personnellement alerté par une association fédérant les habitants du lotissement sur les risques crées par l’absence de clôture.

Dix ans après les faits, les prévenus sont traduits devant le tribunal correctionnel de Pontoise (TC Pontoise 16 janvier 2004 n°316/2004). Les magistrats reconnaissent alors que les poursuites exercées contre les directeurs généraux du lotisseur et contre le maire et le DST de la commune ne justifient pas une condamnation : l’édification de la clôture relevait en effet de la seule responsabilité de la SNCF !

A l’appui de leur jugement particulièrement motivé, les magistrats constatent que :

1° En vertu d’une loi du 15 juillet 1945, tout chemin de fer doit en effet être clos des deux côtés et sur toute l’étendue de la voie.

2° Le maire d’une commune "ne dispose pas du pouvoir permettant d’imposer l’édification d’une clôture, encore moins de se substituer à celui sur qui pèse cette obligation".

3° La maîtrise d’oeuvre confiée à la commune porte sur les travaux relatifs aux réseaux et ouvrages divers dont la commune allait devenir propriétaire. "Il s’agit là des réseaux d’assainissement de l’eau, des ouvrages d’acheminement de l’électricité, des travaux d’éclairage public, de la voirie et l’aménagement des espaces verts. En aucun cas, la maîtrise d’oeuvre confiée à la ville ne pouvait porter sur des ouvrages du domaine public ferroviaire et sur la clôture délimitant ce domaine des lots privés".

4° Un "arrêté d’alignement est purement déclaratif et ne crée aucun droit. Il ne crée pas d’avantage d’obligation de clore à la charge du pétitionnaire mais lui impose, pour l’édification de sa clôture, de respecter les délimitations du domaine ferroviaire telles que fixées par l’arrêté. Il ne peut dès lors être reproché au DST de ne pas s’être assuré de l’édification de la clôture par le lotisseur.

5° L’attention de la SNCF a été attirée en juillet 1990 par le maire sur le mauvais état des clôtures protégeant les voies ferrées traversant la commune.

6° En mars 1993, l’association fédérant les habitants du lotissement avait alerté, sur conseil du maire, le représentant de la SNCF.

7° Au cours des débats, le représentant de la SNCF a reconnu qu’en raison du coût financier des clôtures, son entreprise cherchait d’abord, lors de la construction d’une zone pavillonnaire, à obtenir que le coût des clôtures soit supporté par le constructeur ou les particuliers et que ce n’est qu’en cas d’échec que la SNCF finissait par assumer son obligation, ce qui a été le cas en l’espèce, quelques jours après l’accident...

En conséquence seul le chef de district est condamné à une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis. La SNCF, déclarée civilement responsable, devra indemniser les parties civiles et leur verser près de 90 000 euros de dommages-intérêts.

Si l’issue de la procédure est heureuse pour l’élu et le fonctionnaire territorial, il reste que cette relaxe a un goût amer : les principes posés avec force par le tribunal n’auraient-il pas pu être rappelés dès l’instruction du dossier ? N’auraient-ils pas pu conduire à un non lieu, évitant ainsi aux prévenus d’être traduits devant le tribunal ? Tout au moins, le directeur des services techniques peut se consoler, en sa qualité d’adhérent à l’Association des ingénieurs territoriaux ayant souscrit un contrat groupe à la SMACL, de ne pas avoir eu à débourser les quelques 4500 euros qui ont été nécessaires à sa défense.

[1Photo : © C.