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Totem mortel

CA Rennes 28 novembre 2002

Un enfant mortellement blessé sur une aire de jeux : au-delà de la relaxe des deux techniciens territoriaux poursuivis, la décision de la cour d’appel de Rennes est intéressante par ses attendus qui posent les conditions d’une mise en cause pénale des différents intervenants.

Le 2 mai 1997 un enfant de cinq ans est tué par la chute d’un totem en bois destiné à être escaladé sur une aire de jeux attenante à un camping municipal d’une ville de 50 000 habitants. L’enquête permet d’établir que l’accident trouve son origine dans un pourrissement du bois de l’équipement incriminé : en effet si le bois a bien été traité en autoclave avec les sels appropriés, en revanche son diamètre important et l’imprégnabilité réduite de l’essence utilisée n’a pas permis un traitement suffisant pour un usage externe en contact avec le sol.

Cinq personnes sont alors mises en examen :

 le fournisseur de l’équipement incriminé ;

 l’entrepreneur paysager qui avait implanté le totem en mars 1990 ;

 deux employés municipaux dont un agent de maîtrise qui avaient procédé à des contrôles de sécurité ;

 le directeur des espaces verts de la ville.

Au stade de l’instruction, l’entrepreneur paysager et le directeur des espaces verts bénéficient d’un non-lieu. Le juge d’instruction relève en effet que ce dernier, "anticipant une réglementation nouvelle avait mis en place un dispositif de contrôle de sécurité".

Les trois autres personnes sont en revanche traduites devant le tribunal correctionnel de Saint-Malo.
Il est reproché à l’équipementier "d’avoir fourni, en sa qualité de fabricant averti (ainsi qu’il se présentait dans la presse), un équipement garanti 10 ans contre le pourrissement par traitement du bois sans aucune réserve ni indication d’installation" et aux seconds d’avoir effectué des tests de sécurité insuffisants sur ledit équipement puisqu’aucune défectuosité n’avait été décelée lors d’un contrôle effectué quelques mois avant l’accident.

Dans un arrêt rendu le 28 novembre 2002, la Cour d’appel de Rennes (CA Rennes, 3è chambre correctionnelle, 28 novembre 2002, jurisdata : 2002-210660, JCP Edition générale, 22 octobre 2003 p. 1903) confirme le jugement de relaxe prononcé par le tribunal correctionnel le 31 mai 2001. Les magistrats considèrent en effet que si les prévenus ont bien commis des fautes d’imprudence, celles-ci ne sont pas suffisamment caractérisées pour engager leur responsabilité dès lors qu’ils doivent être assimilés à des auteurs indirects au sens de la loi du 10 juillet 2000.

Ainsi les juges relèvent pour relaxer le fournisseur :

 que les "normes n’ont pas de valeur contraignante mais servent de référence aux fabricants qui peuvent mettre en oeuvre d’autres techniques leur paraissant plus appropriées" ;

 qu’en l’espèce le prévenu "allègue avoir fourni une notice de pose incluant un scellement dans un bloc de béton reposant sur un lit de gravillons destiné à évacuer l’humidité cause du pourrissement, ce qui peut constituer une technique considérée par l’expert comme acceptable" ;

 que si "un doute subsiste sur le point de savoir si le fournisseur a bien fourni des instructions de montage comme il en a fourni pour d’autres équipements de bois" il n’en demeure pas moins que la ville "disposait pour les autres équipements utilisant les mêmes principes, de notices de montage" et possédait un "savoir-faire propre" lui permettant de "prendre, ainsi que son entrepreneur chargé des travaux, les mesures d’installation adéquates". Il appartenait par ailleurs à la ville de "s’informer auprès du fournisseur" et contrôler la pérennité de l’installation et ce nonobstant l’existence d’une garantie décennale contre le pourrissement et les champignons.

Ces motifs de relaxe du fabricant pouvaient laisser craindre le pire pour les employés municipaux mis en cause. La cour (considérant ainsi implicitement que la mise en cause de la ville, personne morale, aurait été plus adéquate) n’en confirme pas moins leur relaxe en relevant :

 que "l’un et l’autre n’étaient pas particulièrement chargés du contrôle des installations" ;

 que s’ils ont procédé "de manière inefficace et inappropriée" à un test de la solidité du totem, c’était de leur propre initiative et "qu’à la date des faits, aucune réglementation spécifique n’était applicable à ces contrôles de sécurité, celle à venir étant cependant par anticipation en cours de mise en oeuvre".

Et la cour de conclure qu’ils n’ont commis aucune faute de nature à engager leur responsabilité "puisqu’au contraire faisant ce qu’ils n’étaient pas tenus de faire dans la recherche des risques possibles, en présence d’un vendeur de la société ayant succédé au fabricant initial, ils entendaient ainsi précisément rechercher les risques et y remédier".