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Périlleux arrêté de péril

Conseil d’Etat, 10 octobre 2005, n° 259205

Le maire peut-il, en urgence, ordonner la démolition d’un bâtiment sinistré par un incendie et qui menace de s’effondrer sur la voie publique ?

Un incendie détruit partiellement un immeuble en bordure d’une route nationale. Le maire de la commune (418 habitants) craignant pour la sécurité des automobilistes d’une route particulièrement fréquentée, décide d’user de son pouvoir de police [1] et d’ordonner la démolition immédiate de l’immeuble. En effet si, une fois l’incendie maîtrisé, il semblait que la façade avant de l’immeuble avait peu souffert du feu, les gendarmes ont notamment constaté que les poutres et les murs à l’étage avaient été fortement endommagés par les flammes et qu’un mur penchait à l’intérieur au niveau du toit. En outre l’officier de sapeurs-pompiers a fait part de sa crainte que l’immeuble ne s’effondre brusquement en causant des dommages aux maisons voisines et sur la voie publique. De fait avant l’arrivée de l’entreprise de démolition, une partie du bâtiment s’est effondrée.

 

Le propriétaire de l’immeuble incendié demande alors l’annulation de l’arrêté et la réparation de son préjudice qu’il estime à 750.000 francs (outre les intérêts). Débouté en première instance, il exerce un recours devant la cour administrative d’appel de Lyon.

 

Se prononçant sur la légalité de l’arrêté, les magistrats lyonnais (arrêt du 4 juillet 2003) constatent que les dispositions sur lesquelles le maire s’est fondé pour prendre son arrêté n’étaient applicables que « dans l’hypothèse où un immeuble serait exposé à des dangers provenant de causes naturelles qui lui sont extérieures ». Or tel n’était pas le cas en l’espèce puisque l’incendie trouvait sa source dans une cause interne à l’immeuble...

 

Dès lors « en dehors de circonstances tout à fait exceptionnelles liées à un danger de chute imminente de l’immeuble, dont la réalité n’est pas établie en l’espèce par la commune, le maire ne pouvait légalement intervenir pour assurer la sécurité des personnes et des biens qu’en suivant la procédure prévue aux articles L.511-2 et L.511-3 du Code de la construction et de l’habitation » relative aux immeubles menaçant ruine.

Pour autant, la cour administrative d’appel de Lyon ne fait pas droit à la demande d’indemnisation du propriétaire : en effet, une telle requête tend à la réparation d’un préjudice qui serait résulté d’une atteinte illégalement portée à la propriété immobilière, constitutive d’une voie de fait. Or ce litige « relève par sa nature de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire et qu’il n’appartient pas au juge administratif d’en connaître ».

 

Le Conseil d’Etat censure la position des juges d’appel :"en estimant que la commune n’établissait pas la réalité du danger de chute imminente de l’immeuble, la Cour administrative d’appel de Lyon a dénaturé les pièces du dossier (...). En présence d’une situation d’extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent, le maire peut, quelle que soit la cause du danger, faire légalement usage de ses pouvoirs de police générale, et notamment prescrire l’exécution des mesures de sécurité qui sont nécessaires et appropriées".

[1Articles L.131-2 et L.131-7 du Code des communes alors applicable repris depuis à l’article L.2212-2 du Code général des collectivités territoriales.