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Jurisprudence

Variante intempestive

cass. crim. 30 avril 2003

Le cahier des charges de l’appel d’offres ne prévoyait pas expressément la possibilité de proposer une ou plusieurs variantes. Fallait-il pour autant rejeter toutes les offres qui sont allées au-delà de la stricte demande de la collectivité ? Non, répond la cour d’appel. Si, tranche la Cour de cassation.

Une station balnéaire de 8 000 habitants décide de réaménager son port de plaisance. Elle confie la maîtrise d’oeuvre des travaux relatifs aux infrastructures portuaires à une société qui sous-traite ce contrat à un bureau d’études. Le dirigeant de celui-ci rédige le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) et procède à l’analyse des offres des entreprises soumissionnaires. Au vu de cet avis technique, la commission d’appel d’offres retient une société, parmi treize entreprises concurrentes.

Estimant avoir été lésée, l’une des entreprises évincées saisit les services de la Concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Une enquête est diligentée qui se traduit par la mise en cause pour favoritisme du dirigeant du bureau d’études. Il lui est reproché de ne pas avoir écarté l’offre de l’entreprise retenue alors que celle-ci ne correspondait pas au cahier des clauses techniques particulières et ne répondait pas à l’objet du marché.

Le 27 mars 2002, la cour d’appel d’Aix-en-Provence relaxe le prévenu en relevant que :

 l’entreprise retenue avait formulé des "propositions techniques répondant sensiblement aux données du CCTP" et que son offre "répondait aux prescriptions techniques dans des conditions ne remettant pas en cause l’économie du projet et que la liberté d’accès et l’égalité des candidats étaient respectées" ;

 "la seule violation d’une règle de passation des marchés publics ne suffit pas à constituer le délit en l’absence d’élément intentionnel" ;

 les offres des candidats ont été examinées avec la même objectivité et "qu’il n’y a pas eu mise à l’écart arbitraire de l’une quelconque des sociétés soumissionnaires" ;

Sur pourvoi du parquet, la Cour de cassation (chambre criminelle, 30 avril 2003, N° de pourvoi : 02-83285) fidèle à sa jurisprudence casse cet arrêt de relaxe en soulignant :

 qu’il résulte de l’article 300, alinéa 4, ancien du Code des marchés publics applicable au moment des faits, qu’une offre comportant une variante par rapport à l’objet du marché tel qu’il a été défini par l’Administration ne peut être prise en considération que si une telle possibilité est expressément prévue par l’appel d’offres ;

Or, poursuivent les magistrats de la Cour de cassation, il résulte des propres constatations de la cour d’appel « qu’une variante avait été apportée au marché ».

 que « l’intention coupable est caractérisée du seul fait que l’auteur a accompli sciemment l’acte constituant l’élément matériel du délit ».

En conséquence de quoi, l’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Nîmes pour être jugée à nouveau conformément au droit.

Ce qu'il faut en retenir

 les personnes qui interviennent dans une procédure de marché public pour le compte des collectivités publiques peuvent engager leur responsabilité au titre du favoritisme. On voit bien avec cet exemple qu’il n’est pas nécessaire de disposer d’un pouvoir de décision pour pouvoir engager sa responsabilité au titre du favoritisme. Les fonctionnaires qui au sein des collectivités participent à la rédaction des cahiers des charges ou dont l’avis technique est sollicité sont dès lors particulièrement exposés ;

 bien que l’infraction soit classée parmi les manquements au devoir de probité, la Cour de cassation retient un élément intentionnel pour le moins ténu puisque l’intention se déduit de l’accomplissement de l’élément matériel. À ce titre, le délit de favoritisme peut sanctionner de simples erreurs d’interprétation ;

 contrairement à ce qu’avaient pu laisser croire certaines décisions du fond, la Cour de cassation semble implicitement considérer que les nouvelles dispositions du Code des marchés publics plus favorables au prévenu ne s’appliquent pas rétroactivement. Ainsi, en l’espèce, il est reproché au cabinet d’études d’avoir retenu une offre avec variante alors que le cahier des charges ne le permettait pas expressément. Or depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code des marchés publics cette règle est aujourd’hui inversée : dans le silence du cahier des charges, les variantes sont autorisées. C’est dire qu’aujourd’hui, en application de ces nouvelles dispositions, la culpabilité du prévenu n’aurait pas pu être retenue sur le visa de l’article 300 du Code des marchés publics.