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Maintien en surnombre : harcèlement moral ?

Cour Administrative d’Appel de Nancy, 7 janvier 2010, N° 08NC00608

Le maintien en surnombre d’un directeur malgré l’existence d’emplois vacants disponibles correspondant à son grade peut-il être constitutif de harcèlement moral ? Le cadre territorial concerné peut-il obtenir réparation d’une perte de chance d’avancement faute d’avoir été en mesure de prouver sa véritable valeur professionnelle ?

A l’expiration de son détachement de longue durée en qualité de directeur général des services d’une commune, un cadre territorial est réintégré dans les effectifs de sa collectivité d’origine (un département) à compter du 1er mars 2004. Aucun emploi conforme à son grade d’attaché principal de seconde classe n’étant vacant, il est placé en surnombre. Le 1er février 2005, le département saisit le CNFPT pour qu’il prenne en charge l’agent conformément aux dispositions précitées du troisième alinéa de l’article 67 de la loi du 26 janvier 1984. Il obtient finalement sa mutation dans un département voisin.

Faute d’avoir été nommé par priorité sur des emplois vacants correspondant à son grade, le directeur général estime avoir été victime de harcèlement moral et demande plus de 120 00 euros de dommages-intérêts en réparation notamment de la perte de chance d’avancement en résultant.

Sur le principe, il obtient gain de cause devant la Cour administrative d’appel de Nancy [1] :

 le directeur général des services départementaux a admis qu’à trois reprises en 2004, l’intéressé pouvait postuler à une affectation sur les postes vacants de chef de projet fonctionnel dans le cadre du système d’information de l’action sociale, de directeur de la division des affaires culturelles et de directeur de la division finances, conformes à son grade d’attaché principal détenu mais que sa nomination sur ces emplois vacants a cependant été écartée en méconnaissance de la règle de priorité de réaffectation organisée par l’article 67 de la loi susvisée du 26 janvier 1984 ;

 la candidature de l’intéressé sur un poste de chef de service de l’exécution budgétaire n’a pas été retenue, le département préférant recruter un agent non titulaire ;

 au cours de cette période, l’intéressé, nommé chargé de mission rattaché à la directrice adjointe de la division des affaires culturelles, ne s’est vu confier que des tâches subalternes et hétéroclites qui ne correspondaient pas aux missions normalement dévolues à un attaché principal, en application des dispositions de l’article 2 du décret susvisé du 30 décembre 1987.

Ainsi en maintenant en surnombre le directeur et en lui confiant un poste inadapté à son grade du 1er mars 2004 au 1er mars 2006, date de sa mutation dans les effectifs d’un département voisin, la collectivité a commis une faute dans la gestion de sa carrière.

Mais faute dans la gestion de carrière d’un fonctionnaire ne veut pas dire nécessairement harcèlement moral. Pour considérer que tel est le cas en l’espèce, la Cour administrative d’appel relève, outre le maintien en surnombre malgré l’existence d’emplois vacants disponibles, que :

 c’est parce que l’intéressé s’était vu décharger, à compter du mois de janvier 1998, de l’essentiel de ses fonctions directeur de la division de la gestion du patrimoine et confier des missions ponctuelles dans des conditions ne lui permettant pas de les exercer correctement, qu’il avait demandé son détachement à compter du 1er mars 1999 en qualité de directeur général des services d’une commune. Il a ainsi été victime d’une éviction de fait du service qui l’a conduit à demander son détachement.

 le 14 octobre 2004, l’intéressé a été noté par le directeur de la division des affaires culturelles, poste sur lequel il avait postulé et sur lequel il devait de droit être réaffecté. Or , bien que ledit directeur n’avait été nommé que le 1er septembre 2004 et n’avait pas été professionnellement en contact avec lui, le requérant s’est pourtant vu attribuer une notation très défavorable au motif qu’il n’avait pas les qualités attendues du détenteur d’un poste à l’importance stratégique. Une telle note a perturbé sa mobilité professionnelle qu’il était alors contraint d’envisager.

Ainsi « il résulte de l’ensemble de ces circonstances, que M. A a été victime d’agissements répétés de harcèlement moral qui ont eu pour objet et pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». Et les magistrats de conclure que ces agissements, dont il n’est pas démontré ni même soutenu que le comportement de l’intéressé les aurait même partiellement provoqués, sont fautifs et de nature à engager la responsabilité du département.

Les magistrats évaluent le préjudice de l’intéressé à 12 000 euros, très loin des 120 000 euros réclamés. C’est que les pertes de rémunérations invoquées, et qui seraient constituées par les avantages liés à des emplois sur lesquels il aurait pu être affecté, ne sont pas justifiées, le requérant n’ayant au demeurant jamais été privé de sa rémunération statutaire. En revanche les prétentions indemnitaires de l’intéressé sont considérées comme justifiées en ce qui concerne :

 le préjudice résultant de la perte de chance d’avancement dès lors qu’il était susceptible d’être promu dans le grade de directeur territorial à compter de 2002. En effet le département , « en ne le nommant pas sur un emploi conforme à son grade, l’a privé de la possibilité de démontrer sa valeur professionnelle et lui a donc fait perdre une chance de bénéficier de cet avancement » ;

 le préjudice de carrière résultant de l’attribution d’une note très défavorable ;

 le préjudice moral important et des troubles dans ses conditions d’existence résultant du harcèlement moral dont il a été victime.

[1Cour Administrative d’Appel de Nancy, 7 janvier 2010, N° 08NC00608