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Favoritisme, prise illégale d’intérêts et inéligibilité.

Tribunal correctionnel Bar-le-Duc, 15 septembre 2009, n°664/2009

Le délit de favoritisme peut-il être caractérisé en dessous des seuils de la procédure d’appel d’offres ?

 [1]


En mars 2005, le commissaire du gouvernement de la chambre régionale des comptes de Lorraine signale au procureur de la République des irrégularités dans la gestion d’un syndicat mixte qui regroupe différentes collectivités la gestion d’un lac [2].

Après ouverture d’une enquête préliminaire, puis d’une information judiciaire, quatre personnes mises en examen sont renvoyés en correctionnelle :

 le président du syndicat des chefs de faux en écritures publiques et usage, de favoritisme et de prise illégale d’intérêts ;

 la directrice déléguée de développement pour recel de prise illégale d’intérêts ;

 un architecte et une SARL pour recel de favoritisme.

Au final seul le président du syndicat est condamné par le tribunal correctionnel [3] pour une partie des faits qui lui sont reprochés.


Condamnation pour faux en écriture

Il était reproché à l’élu d’avoir falsifié les procès-verbaux des commissions d’appel d’offre du syndicat mixte relatifs à deux marchés publics en indiquant que des négociations avaient eu lieu avec l’ensemble des candidats, ce qui n’avait pas été le cas comme cela ressort des auditions de différents candidats non retenus et de fonctionnaires territoriaux.

L’élu se défend en relevant que, s’agissant de marchés à procédure adaptée, il n’existe aucun procès-verbal de la commission d’appel d’offres dont la falsification puisse lui être reprochée.

Le tribunal correctionnel reconnaît à cet égard une imprécision de l’ordonnance de renvoi mais écarte l’argument dès lors que les faits de faux reprochés à l’élu portent en réalité sur deux PV de la commission d’ouverture des offres de maîtrise d’œuvre : « l’erreur commise sur l’intitulé exact de ces documents ne fait pas disparaître l’infraction de faux ».

Et le tribunal de se justifier par une comparaison : « dans le même ordre d’idée, un tribunal correctionnel qui serait saisi de faits de vol d’un véhicule ne pourrait prononcer une relaxe au seul motif que la citation ou l’ordonnance de renvoi comporterait une erreur ou une imprécision sur la marque ou le type de véhicule effectivement volé par le prévenu ».

Sur le fond, le prévenu rejette la falsification des documents sur le directeur des services techniques (DST) qui a préparé les PV. Ce dernier reconnaît être l’auteur des PV litigieux mais indique qu’il a agi sur ordre du président, sans pouvoir s’opposer à sa décision, compte tenu de la forte personnalité de l’élu. Il précise que l’élu souhaitait que le marché de maîtrise d’œuvre soit confié à l’entreprise retenue et qu’à cette fin, l’élu avait invité l’entreprise à baisser son offre en dessous de celle des autres candidats.

Le tribunal retient la responsabilité de l’élu dès lors « qu’il a personnellement décidé de ne rouvrir les négociations qu’avec l’un seul des candidats et qu’il a bien signé les deux procès-verbaux en sa qualité de personne responsable du marché. S’agissant d’une procédure adaptée, c’est à lui que revenait en réalité la décision d’attribution du marché et non à la commission d’ouverture des offres de maîtrise d’oeuvre qui n’avait qu’un caractère consultatif ». [4]


Relaxe des entreprises poursuivies pour recel de favoritisme

Les deux candidats retenus étaient poursuivis pour recel de favoritisme sans que l’élu soit poursuivi pour favoritisme. Le tribunal correctionnel ne peut que constater « la particularité de la procédure » mais rappelle que les poursuites contre les receleurs est possible indépendamment de toute action initiée contre l’auteur de l’infraction principale.

Le tribunal correctionnel considère que si l’élu avait été poursuivi, l’infraction de favoritisme aurait été caractérisée à son encontre. « En effet, la méconnaissances des principes posés à l’article 1er du code des marchés publics s’applique à tous les marchés publics, quel que soit leur montant, et entre dans les prévisions de l’article 432-14 du code pénal définissant le délit de favoritisme ».

Ainsi « en s’abstenant volontairement de rouvrir les négociations avec l’ensemble des candidats (…) [le prévenu] a méconnu les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, tels qu’ils résultent de l’article 1er du code des marchés publics de 2004 ».

Pour autant le tribunal relaxe les entreprises retenues dès lors qu’il n’est pas démontré que, lorsqu’elles ont été contacté téléphoniquement pour revoir leur offre à la baisse, elles savaient que les autres candidats n’avaient pas été consultées de la même façon. Si le tribunal juge troublant que le taux finalement proposé soit identique au taux proposé par le moins disant dans la première consultation, il ne peut exclure pour autant avec certitude que cette circonstance ne soit le fruit d’une coïncidence.


Favoritisme : deux relaxes, une condamnation

Le président du syndicat intercommunal était poursuivi pour favoritisme s’agissant de l’attribution de trois marchés :

1°Relaxe pour le marché de maîtrise d’oeuvre pour les travaux de reconstruction d’une maison sur les rives du lac

Le marché de maîtrise d’œuvre a été confié à une SARL pour un montant de 29 900 euros sans publicité, ni mise en concurrence préalables.

Le tribunal écarte l’argument du prévenu qui invoque la « connaissance du dossier » du candidat retenu. En effet la maîtrise d’oeuvre initiale avait été confiée à un autre cabinet qui s’étonnait d’ailleurs de ne pas avoir été consulté.

Pour autant le tribunal relaxe l’élu. En effet il existe une incertitude sur la date à laquelle le marché a été confié et il « est très probable » que le choix de l’entreprise retenue soit intervenu avant le 8 janvier 2004, date d’entrée en vigueur du nouveau code des marchés publics.

Or, poursuit le tribunal, les exigences en matière de publicité et de mise en concurrence pour les marchés inférieurs à 90 000 euros étaient moindres dans la version 2001 du code des marchés publics. En effet, selon l’article 74 II du code des marchés publics, alors applicable, les marchés de maîtrise d’œuvre pouvaient être passés sans formalités préalables en deçà du seuil de 90 000 euros. Et selon l’article 40 du code, toujours dans sa version 2001, les marchés sans formalités préalables, n’étaient pas soumis à un appel à la concurrence.


2° Condamnation pour un marché de maîtrise d’œuvre pour l’extension du golf

Il est là aussi reproché à l’élu d’avoir attribué un marché de maîtrise d’œuvre sans publicité, ni mise en concurrence préalables, pour un montant de 106 743 euros TTC.

Ce marché attribué le 18 février 2004, était pleinement soumis à l’application des nouvelles dispositions du code des marchés publics. En effet, contrairement à ce que soutient l’élu pour faire appliquer l’ancienne version du code, l’étude de faisabilité confiée au même candidat en 2003 ne peut être confondue avec la mission de maîtrise d’œuvre.

Or, poursuit, le tribunal, selon l’article 40 I du code des marchés publics dans sa version de 2004, tout marché doit être précédé d’une publicité suffisante permettant une mise en concurrence effective. Le fait que le marché soit inférieur au seuil de la procédure d’appel d’offres ne dispensait pas le syndicat de respecter ces dispositions.

L’élu invoque également pour sa défense les dispositions de l’article 35 III du code des marchés publics de 2004 qui dispensent de mise en concurrence et de publicité préalables les marchés qui ne peuvent être confiés qu’à un prestataire déterminé pour des raisons techniques. Or poursuit-il, il existe très peu d’architectes spécialisés dans l’aménagement des golfs.

Là encore, le tribunal écarte l’argument, dès lors qu’il ressort des propres déclarations de l’architecte retenu, qu’une dizaine de cabinets concurrents sur le territoire national, sans oublier de nombreux architectes européens.

Et le tribunal de retenir la culpabilité de l’élu qui, compte tenu des fonctions, avait une expérience certaine en matière de marchés publics, ce d’autant qu’il était vice-président du conseil général depuis 1986.


3° Relaxe pou un marché de maîtrise d’œuvre pour la construction d’un practice de golf

Il est reproché à l’élu d’avoir confié un marché de maîtrise d’oeuvre pour un montant de 7000 euros sans publicité, ni mise en concurrence préalables.

Le tribunal relaxe l’élu de ce chef en soulignant qu’il s’agissait d’une procédure adaptée relevant de la procédure de l’article 28 du code des marchés publics et non d’une procédure sur appel d’offres. Ainsi « la décision d’attribution du marché revenait à la personne responsable du marché et non à la commission d’ouverture des offres de maîtrise d’oeuvre qui n’a qu’un caractère consultatif ».

Le tribunal rappelle la jurisprudence du Conseil d’Etat selon laquelle une administration qui se soumet volontairement à une procédure dérogatoire ou facultative doit le faire régulièrement et que l’élu aurait dû veiller à cet égard à ne pas être le seul membre de la commission d’ouverture des offres avec voix délibérative.

Mais, poursuit le tribunal, il s’agit d’une irrégularité formelle qui n’a pas eu d’incidence sur le choix du candidat retenu dès lors que celui-ci était le moins disant.


Relaxe pour prise illégale d’intérêts

Il est reproché à l’élu d’avoir recruté, sans publicité, ni appel à candidatures, l’une de ses proches amies en qualité de directrice déléguée au développement commercial du syndicat intercommunal. Il est lui également reproché d’avoir ensuite promu cette même personne comme directrice de régie alors qu’elle ne posséderait pas les compétences et les qualifications professionnelles pour exercer de telles fonctions.

L’amie de l’élu est, pour sa part, poursuivie pour recel.

L’élu ne conteste pas avoir eu une relation intime avec l’intéressée. Mais le tribunal estime que cette relation n’est pas suffisante pour établir la prise illégale d’intérêts :

1° Il n’est pas établi que cette relation intime perdurait au moment du recrutement, puis de la promotion de l’intéressée ;

2° Il n’est pas plus démontré que l’amie de l’élu était incompétente à son poste de directrice, les personnes qui ont précédé l’intéressée dans le poste ne disposant pas de diplômes ou de qualifications plus élevées ;

3 ° Les témoignages accusateurs de fonctionnaires du syndicat intercommunal ne sont pas jugés probants dès lors que la volonté de la directrice de remettre de l’ordre au sein de l’équipe de la régie municipale lui a valu une certaine animosité de la part du personnel ;

4° il n’est pas démontré que le poste occupé justifiait un appel à candidatures ou une publicité.

Et le tribunal d’en conclure que, s’il n’est pas contestable que l’intéressée a été recrutée parce qu’elle connaissait l’élu, les éléments constitutifs du délit de prise illégale d’intérêts ne sont pas pour autant réunis dès lors qu’il n’est pas démontré que la relation intime avec l’intéressée perdurait au moment du recrutement et que l’intéressée ne disposait pas des compétences requises pour exercer les missions confiées.


Inéligibilité

En répression, l’élu est condamné à 3000 euros d’amende et trois mois d’emprisonnement avec sursis.

Le président du syndicat intercommunal a pris soin de demander, dans l’hypothèse où il serait condamné, à être relevé de la peine d’inéligibilité qui résulte de plein droit d’une condamnation pour favoritisme en application de l’article L7 du code électoral. En effet par le jeu combiné de cet article et des dispositions de l’article L.O 130 du code électoral, il se trouvait exposé à une peine accessoire [5] de 10 ans d’inéligibilité.

Le tribunal fait ici application des dispositions de l’article L132-21 du code pénal qui permet à la personne condamnée de solliciter le relèvement d’une peine accessoire et d’échapper ainsi au caractère automatique de la sanction.

Le tribunal considère à cet égard que les faits reprochés à l’élu « ne sont pas anodins dans la mesure où ils ne correspondent pas à un seul acte isolé et qu’ils révèlent une volonté de s’exonérer du respect d’une partie des règles de la commande publique ».

Pour autant, poursuit le tribunal, la gravité de ces faits doit être relativisée en l’absence d’enrichissement personnel. Et le tribunal d’en conclure que « dans ces conditions, une peine accessoire automatique entraînant une inéligibilité de 10 ans, qui remettrait totalement en cause la carrière politique [du prévenu] (…), serait disproportionnée aux faits pour lesquels il est (…) condamné ».

[1Photo : © BelleMedia

[2Afin de réguler les eaux et développer une base de loisirs.

[3TGI Bar Le Duc 15/09/2009 n°664/2009

[4Notons, au passage, qu’en l’espèce le DST aurait également très bien pu être poursuivi dès lors que les fonctionnaires ne doivent pas exécuter les ordres manifestement illégaux

[5A la différence des peines complémentaires qui doivent être prononcées par le juge en complément ou en lieu et place d’une peine principale, les peines accessoires résultent automatiquement de la déclaration de culpabilité sans que le juge ait à les prononcer