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Mise à disposition de matériel à une association par la commune : ne pas négliger la sécurité et les responsabilités

Cour administrative d’appel de Nancy, 13 février 2024 : n°19NC03506

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Une commune peut-elle engager sa responsabilité en cas d’accident causé par un matériel (ici un barnum) mis à disposition à une association pour l’organisation d’une fête ? 

 
Oui répond la cour administrative d’appel de Nancy. Ainsi une commune est jugée responsable de l’accident causé par la chute de structures (tivoli) sur les participants à une guinguette organisée par un comité des œuvres sociales. Ces structures, prêtées par la commune, n’ont en effet pas résisté à de violentes rafales de vent. La responsabilité de la commune est engagée sur deux fondements :
 

 Méconnaissance de la réglementation relative aux établissements recevant du public (ERP)

Compte tenu de la surface de structure (montage des barnums en contiguë), la structure entrait dans la catégorie « Etablissement public recevant public de type CTS » (Chapiteau, tente et structure). Or, ces structures, fabriquées par un employé communal, n’avaient fait l’objet d’aucune attestation de conformité (absence de contrôle par un bureau de vérification) conformément à la réglementation.

 

 Faute du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police spéciale et générale
Le maire avait connaissance de l’utilisation des barnums lors de la fête ; ces derniers ayant été installés par des agents communaux sur leur temps de travail. De plus, le maire n’ignorait pas que les barnums n’avaient fait l’objet d’aucun contrôle réglementaire.
Le maire a commis une faute en ne prenant aucune directive pour faire procéder à la vérification de la stabilité de la structure.

 

Par ailleurs, le juge ne retient aucune cause d’exonération.
Ni la force majeure : les violentes rafales de vent ne présentent pas un caractère imprévisible. Le département avait été placé en vigilance jaune. 

Ni un comportement fautif de l’association dès lors que les dommages résultent non de l’organisation de la guinguette mais du montage défectueux des structures par des agents communaux ne disposant d’aucune qualification. De plus, ces derniers ainsi que les autorités auraient dû informer les membres de l’association des limités d’usage de ces structures en cas de vent.

 
 
Un comité des œuvres sociales (COS) d’une commune (moins de 5000 habitants) organise une guinguette pour financer des activités au profit des agents retraités. Cette fête rassemble plus de 200 personnes.

 Au cours de la soirée, plusieurs personnes sont grièvement blessées après que deux fortes rafales de vent aient soulevé les tentes mises à disposition par la commune. Les bâches, fixées au sol à l’aide de sangles et d’un lest à chaque pied du barnum, n’ont pas résisté à la force du vent (83,9 km/h) avant de retomber quelques dizaines de mètres plus loin sur une partie du public qui quittait les lieux.
 
Cette affaire a donné lieu à deux procédures :
  •  la première, au pénal s’est soldée par la relaxe du COS et de son président (CA Dijon, 5 juillet 2018) ;
  • la seconde contre la commune devant les juridictions administratives, procédure initiée par l’assureur de plusieurs victimes.
Cet assureur, subrogé dans les droits des victimes, recherche la responsabilité de la commune lui réclamant 310 000 € sur deux fondements :
  • une faute de la commune en raison de la méconnaissance de la réglementation relative aux établissements recevant du public (ERP) ;
  • une faute du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police spéciale et générale.
En octobre 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne condamne la commune à verser à l’assureur la somme de 143 000 euros.

Sur appel de la commune, la cour administrative d’appel de Nancy, tout en confirmant la responsabilité de la commune, ramène ce montant à 23 000 euros. 


1° Méconnaissance de la réglementation relative aux établissements recevant du public (ERP)

 
La structure des tentes, vieille de 20 ans, était de confection artisanale (fabriquée par un employé communal).
 
Tout d’abord, le juge administratif s’appuie sur les éléments de l’enquête pénale révélant que :
  • le lestage de la structure montée de façon continue était insuffisant (le lestage était seulement composé de 6 masses agricoles de 45 kg au lieu de 10 lests de 478,6 kg au moins) ;
  •  la structure n’était pas fixée au sol ;
  •  le positionnement des haubans sans inclinaison ne permettait pas de garantir sa stabilité.
Par conséquent, cette structure ne pouvait résister à un vent de 84 km/h.
 
De plus, aucune vérification de la stabilité au sol de la structure n’avait été effectuée. Et la structure avait été montée par des agents communaux lesquels n’avaient reçu aucune information concernant «  les efforts de soulèvement à prendre en compte pour assurer le liaisonnement au sol de la structure par ancrage ou lestage ».
 
Ensuite, le juge considère que la réglementation relative aux établissements recevant du public est bien applicable (contrairement à ce que soutenait la commune).
 
Certes la superficie de chacun des barnums était inférieure à 50 m².

Mais, la structure montée de façon contiguë devait être identifiée comme un établissement recevant du public de type CTS. En effet, la juxtaposition de deux barnums permettait de créer une surface pouvant accueillir plus de 50 personnes.
 
Or c’est à partir de ce seuil de 50 personnes que s’applique la réglementation relative aux établissements recevant du public (ERP) de type CTS (chapiteaux, tentes, structures) issue de l’arrêté du 25 juin 1980 (Arrêté portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les établissements recevant du public Livre IV Chapitre II).
 
Ainsi conformément à l’article CTS 3 de l’arrêté du 25 juin 1980, un bureau de vérification aurait dû contrôler cette structure (notamment la stabilité mécanique de l’ossature (montage et assemblage) ; contrôle entraînant la délivrance par le préfet d’une attestation de conformité.
Ce contrôle « aurait permis au bureau de vérification de constater l’insuffisance du lestage de la structure pour assurer le liaisonnement au sol  ».
 
L’absence de contrôle et de l’attestation de conformité révèlent une méconnaissance de la réglementation relative aux ERP. Il s’agit d’une faute de nature à engager la responsabilité de la commune.
 

Les pouvoirs de police du maire

 
Pour veiller au respect de la sécurité dans les ERP, le maire détient un pouvoir de police spéciale en vertu de l’article R.123-27 du Code de la construction et de l’habitation (devenu R.143-23).
 
Dans le cas des CTS le maire délivre l’autorisation à l’organisateur de la manifestation ou du spectacle avant toute ouverture au public.
S’il le juge nécessaire, le maire peut faire visiter l’établissement, avant l’ouverture au public, par la commission de sécurité, notamment pour ce qui concerne :
  • l’implantation ;
  •  les aménagements ;
  •  les sorties et les circulations.

L’existence de pouvoirs de police spéciale reconnus à la fois au maire en application de l’article R.123-27 du code de la construction et de l’habitation et au préfet ne fait pas obstacle à ce que le maire use de ses pouvoirs de police générale » rappelle le juge.
 
Au titre de son pouvoir de police générale le maire est garant du bon ordre, de la sûreté, de la sécurité et de la salubrité publiques sur le territoire communal (Article L.2212-2 du Code général des collectivités territoriales).
 

Abstention fautive du maire

 
Le juge caractérise une faute du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police.
 
En effet, le juge estime que l’édile ne pouvait ignorer :
  • ni l’utilisation des structures de la commune lors de la fête organisée par l’association ; ces structures ont été installées par des agents communaux sur leur temps de travail. Peu importe donc que le président du comité des œuvres sociales n’ait pas adressé au maire une demande écrite de mise à disposition des structures. 
  •  ni l’absence de vérification de la conformité des barnums à la réglementation (barnums conçus par un employé municipal).
 
De plus, le département avait été placé en vigilance jaune par Météo France qui prévoyait également un vent pouvant aller jusqu’à 83,9 km/heure.
 
Il appartenait donc au maire de demander un contrôle par la commission de sécurité ou de prendre des mesures afin d’assurer la sécurité du public.

Dans ces conditions, le maire a commis une faute en ne prenant aucune directive pour faire procéder à la vérification de la stabilité des structures.
 

Absence de cause exonératoire de responsabilité

 
Aucun manquement fautif du comité d’œuvres sociales
 
La commune soutenait que la responsabilité du comité des œuvres sociales devait être retenue en tant qu’organisateur de l’évènement et responsable du montage des tentes.
Tel n’est pas l’avis du juge. Aucun manquement ou comportement fautif ne peut être reproché au comité.
 
Les barnums mis à la disposition du comité ont été montés et installés par des agents communaux pendant leur temps de travail (et non en qualité de membre de l’association).
 
La responsabilité du comité n’est pas engagée puisque les dommages résultent, non de l’organisation même de « la Guinguette », mais du montage défectueux des structures par des agents communaux ne disposant d’aucune qualification.

Les dommages sont également la conséquence de « l’abstention des autorités et agents communaux à signaler aux membres de l’association les limites d’usage qu’auraient dû appeler les caractéristiques de ces structures en cas de vent ».
 
Absence de force majeure
 
La force majeure suppose que l’évènement climatique à l’origine des dommages soit à la fois imprévisible et irrésistible pour que la collectivité puisse s’exonérer. Ces conditions cumulatives sont très difficiles à réunir.
Au cas présent, la cour administrative d’appel de Nancy écarte la force majeure considérant que l’évènement n’était pas imprévisible. En effet, le Bulletin de Météo France avait placé le département en vigilance jaune pour risques d’orages violents avec rafales de vent autour de 90 km/h. La vitesse du vent mesurée à la station météo n’était pas différente de celle de la commune située à 10 km.
 
 La survenance de violentes rafales de vent localement ne présentait pas un caractère imprévisible ».