A la sortie d’un passage souterrain en agglomération, un motard est surpris par un automobiliste sortant de chez lui pour s’engager sur la route. Il fait un écart mais n’arrive pas à éviter la collision. La trajectoire du deux-roues s’en trouve déviée et la moto percute un véhicule arrivant en sens opposé. Le motocycliste est tué.
Responsabilité pénale
La commune est condamnée par le tribunal correctionnel de Bordeaux à une peine d’amende de 30 000 euros pour homicide involontaire.
Sur les intérêts civils, le tribunal correctionnel de Bordeaux, après avoir écarté une exception d’incompétence, reconnaît une faute de la victime de nature à exonérer partiellement la commune de sa responsabilité et la condamne à indemniser les ayants droit et les proches du défunt au titre de ses préjudices personnels et de leurs préjudices propres.
Mais, la cour d’appel, statuant sur les seuls intérêts civils (la condamnation pénale étant définitive) infirme logiquement ce jugement en tant qu’il a rejeté l’exception d’incompétence et condamné la commune à indemniser le motard. Le juge d’appel se déclare ainsi incompétent au profit des juridictions de l’ordre administratif pour statuer sur la responsabilité de la commune et réforme l’évaluation de certains des préjudices. Il condamne l’automobiliste à verser une somme d’un peu plus de 156 000 euros aux ayants droit et aux proches du défunt.
Responsabilité administrative
Après avoir indemnisé les ayants-droit et les proches de la victime, l’assureur du véhicule heurté par le motard recherche la responsabilité de la commune afin d’obtenir le remboursement des indemnités versées
[1].
L’assureur met en avant notamment :
- le défaut de signalisation abaissant la vitesse sur cette portion de route dangereuse ;
- la présence d’un miroir non règlementaire qui ne permettait pas d’anticiper l’arrivée d’un véhicule lors de la sortie de sa propriété ;
- la présence sur le trottoir de certains aménagements (potelets, arceaux) cachant la visibilité des riverains à la sortie de leur propriété ;
- la connaissance par la commune du caractère accidentogène de la zone.
Le tribunal administratif de Bordeaux retient la responsabilité de la commune pour défaut d’entretien normal de la voirie et la condamne à verser à l’assureur la somme réclamée (un peu plus de 156 000 euros).
La commune relève appel de ce jugement.
La cour administrative d’appel de Bordeaux confirme la responsabilité de la commune mais sur un fondement juridique différent.
En effet, la route sur laquelle a eu lieu l’accident est une route départementale qui relève du domaine public routier départemental (article L.131-1 du Code de la voirie routière). La commune ne peut donc pas être tenue responsable sur le fondement d’un défaut d’entretien normal de la voie. En revanche, le maire a bien commis une faute dans l’exercice de son pouvoir de police de la circulation.
Par ailleurs, le juge d’appel augmente la part de responsabilité laissée à la charge du motard et réduit le montant des indemnités que la commune devra verser à l’assureur de l’automobiliste.
Une zone connue pour être dangereuse
Aux termes de l’article L. 2213-1 du code général des collectivités territoriales :
Le maire exerce la police de la circulation sur les routes nationales, les routes départementales et les voies de communication à l’intérieur des agglomérations, sous réserve des pouvoirs dévolus au représentant de l’Etat dans le département sur les routes à grande circulation. (...) ".
Aux termes de l’article L. 2213-1-1 du même code :
Sans préjudice de l’article L. 2213-1, le maire peut, par arrêté motivé, fixer pour tout ou partie des voies de l’agglomération ouvertes à la circulation publique une vitesse maximale autorisée inférieure à celle prévue par le code de la route, eu égard à une nécessité de sécurité et de circulation routières, de mobilité ou de protection de l’environnement. "
Le juge administratif s’appuie sur le rapport d’expertise judiciaire et sur le rapport de gendarmerie. Ces documents soulignent que la sortie de la propriété privée présente une visibilité réduite sur les véhicules venant du tunnel. En effet, la présence d’une pente et de potelets de protection des piétons masquent les véhicules remontant la pente en courbe.
En outre, la commune avait été alertée, par les riverains, de la dangerosité de la configuration des lieux. Encore quelques semaines avant l’accident, le propriétaire riverain avait une nouvelle fois interpellé la commune sur la dangerosité des lieux car « un accident avait été évité de peu ».
Malgré ces alertes répétées, la commune n’a pas été suffisamment diligente aux yeux du juge administratif :
Si les services de la voirie de la commune ont évoqué, à cette occasion, la possibilité de réaliser un coussin berlinois ou un plateau surélevé afin de réduire la vitesse des automobilistes, aucune mesure n’avait été mise en œuvre avant la survenue de l’accident. Dans ces conditions, le maire (…) a commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune, en n’usant pas de son pouvoir de police de la circulation en vue d’assurer la sécurité de la circulation routière au débouché de la propriété ».
Un miroir non conforme
La collectivité avait fait installer un miroir en face de la sortie de la propriété. Il s’agit souvent de demandes de la part de riverains qui pensent que ce dispositif les sécurise. En pratique ce n’est pas toujours le cas et ces miroirs peuvent, au contraire, être trompeurs pour apprécier les distances. D’où une réglementation très stricte les concernant (voir notre zoom). Ainsi, en l’espèece, l’implantation du miroir, relève le juge, « ne permet pas d’anticiper suffisamment la survenue d’un véhicule ». En effet le miroir est installé à une hauteur de 2.20 mètres et ne permet de voir les véhicules sortant du tunnel qu’avec un retard de 2 à 3 secondes (TA Bordeaux, 4 mai 2022, n°2001430).
Zoom sur les miroirs
L’installation de miroirs sur le réseau routier est régi par l’article 14 de l’instruction interministérielle sur la signalisation routière 1ère partie du 22 octobre 1963 :
« En agglomération, le miroir doit être considéré comme un palliatif et n’être utilisé que si les travaux nécessaires à l’amélioration de la visibilité ne peuvent être réalisés.
Il peut alors être utilisé sous réserve que les conditions suivantes soient remplies :
- mise en place d’un régime de priorité avec obligation d’arrêt « Stop » sur la branche du carrefour où les conditions de visibilité ont entraîné l’utilité du miroir ;
- distance entre la ligne d’arrêt et le miroir inférieure à 15 m ;
- trafic essentiellement local sur la route où est implanté le « Stop » précité ;
- limitation de vitesse sur la route prioritaire inférieure ou égale à 50 km/h ;
- implantation à plus de 2,30 m.
Les miroirs doivent être inclus sur un fond :
- carré s’il s’agit d’un miroir rond ; le côté du carré a une longueur égale à une fois et demie le diamètre du miroir ;
- rectangulaire (ou carré) s’il s’agit d’un miroir rectangulaire (ou carré) ; les côtés du fond ont une longueur égale à une fois et demie celle du miroir.
Le fond ainsi défini doit être rayé noir et blanc, chaque raie mesurant 5 cm de largeur. Il n’est pas utilisé de miroir plan ».
Il existe très peu de jurisprudence en la matière. En 2005, la cour administrative d’appel de Versailles a retenu la responsabilité d’une commune pour faute du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police en raison du non respect d’une des conditions visées à l’article 14 de l’Instruction Interministérielle, à savoir l’absence d’un "stop" (CAA Versailles, 24 février 2005 : n°02VE02273).
Le miroir n’est que palliatif et une faute de l’automobiliste peut également être retenue en cas d’accident. Ainsi, si le conducteur de l’automobile débitrice de la priorité estime que la visibilité est insuffisante, il peut faire usage de son avertisseur sonore. Un arrêt rappelle que le conducteur doit toujours adapter son attention à la disposition des lieux. En l’espèce, la faute de l’automobiliste a constitué la cause exclusive de l’accident (CAA Lyon, 27 décembre 2007 : n°04LY01175).
Une responsabilité atténuée par l’imprudence de la victime
La demande par laquelle le tiers-coauteur saisit la juridiction administrative d’un recours en vue de faire supporter la charge de la réparation par la collectivité publique de la part du dommage lui incombant a le caractère d’une action en subrogation fondée sur les droits de la victime à l’égard de l’administration, et il peut donc se voir opposer l’ensemble des moyens de défense qui auraient pu l’être à la victime. En outre, eu égard à l’objet d’une telle action, qui vise à assurer la répartition de la charge de la réparation du dommage entre ses co-auteurs, sa propre faute lui est également opposable ».
En appel le juge retient une faute du motard à hauteur de 30 % (en première instance le juge l’avait évaluée à 10%).
La victime circulait à une vitesse supérieure à la vitesse autorisée de 50 km/h, estimée à 59 km/h par l’expert judiciaire et à 53 km/h par le second expert consulté par la famille. Et le pneu arrière de la moto était usé à 100 %.
De plus, la victime connaissait les lieux car elle empruntait cette route tous les jours afin de se rendre à son travail. Le motard n’a pas adapté sa vitesse au caractère accidentogène des lieux.
En revanche l’automobiliste qui sortait de chez lui n’a commis aucune imprudence, le tribunal administratif relevant en outre qu’il avait « accompli les diligences nécessaires en signalant auprès de la commune le caractère accidentogène des lieux ».
La faute du conducteur peut réduire la part de responsabilité de la commune comme l’a rappelé la cour administrative d’appel de Nantes (CAA Nantes, 6 novembre 2020 : n°19NT02615) : un cycliste âgé de 11 ans avait été renversé par un automobiliste alors qu’il traversait un carrefour. La responsabilité de la commune avait été engagée pour défaut d’entretien normal. Toutefois, le conducteur connaissait les lieux et « aurait dû adapter la conduite de son véhicule à la configuration particulière des lieux, notamment du fait du manque de visibilité (…) ». Sa faute ainsi que l’imprudence de la victime atténuent donc la responsabilité de la commune.
Une évaluation autonome des préjudices
La somme due par la commune à l’assureur de l’automobiliste, condamné à indemniser les ayants-droit et les proches de la victime, ne peut dépendre de l’évaluation faite par le juge judiciaire.
La nature et l’étendue des réparations incombant à une collectivité publique du chef d’un accident dont la responsabilité lui est imputée ne dépendent pas de l’évaluation du dommage faite par l’autorité judiciaire dans un litige où elle n’a pas été partie et n’aurait pu l’être, mais doivent être déterminées par le juge administratif, compte tenu des règles afférentes à la responsabilité des personnes morales de droit public et indépendamment des sommes qui ont pu être exposées par le requérant à titre d’indemnité ou d’intérêts ».
En l’espèce, la cour administrative d’appel de Bordeaux estime que le préjudice dont peut se prévaloir l’assureur en raison des sommes versées s’élève à 77 455,01 euros. La part imputable à la commune correspond donc à 54 218,50 euros (cette somme tient compte de la part de responsabilité de 30 % laissée à la charge de la victime).