Le portail juridique des risques
de la vie territoriale & associative
© Fotolia

Une simple lettre sur papier à en tête du maire peut constituer une écriture publique et donc un faux en écriture publique en cas de falsification (crime passible de 15 ans de réclusion criminelle) !

Cour de cassation, Chambre criminelle, 10 janvier 2024, N° 22-87.605

© Fotolia

La falsification d’un courrier sur papier à en tête du maire constitue-t-il un faux en écriture publique ?

 
Oui répond la Cour de cassation : "tout écrit qui atteste un droit ou un fait rédigé dans l’exercice de ses attributions par un maire, personne exerçant une fonction publique, constitue une écriture publique". Or dès lors que le faux porte sur une écriture publique ou authentique et a été commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant dans l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, il s’agit alors d’un crime passible, selon l’article 441-4 du code pénal, de quinze ans de réclusion criminelle et de 225 000 euros d’amende. Ainsi la falsification par un maire d’un courrier à la CADA, sur papier à en tête du maire, rentre bien dans cette catégorie et doit donc recevoir une qualification criminelle. Il en résulte notamment que le plaignant peut directement saisir le doyen des juge d’instruction par plainte avec constitution de partie civile sans avoir à déposer une plainte préalable. Et s’agissant d’un crime, le délai de prescription de l’action publique est de 20 ans.

 

 
Un administré estime qu’un courrier adressé par le maire en mai 2008 à la commission d’accès aux documents administratifs (CADA), constituerait un faux en écriture publique.
 
Il porte plainte avec constitution de partie civile contre le maire. 
 
En août 2021, le juge d’instruction déclare irrecevable la constitution de partie civile, faute pour le requérant d’avoir préalablement déposé plainte devant le procureur de la République. En effet il résulte de l’article 85 du code de procédure pénale que le plaignant doit d’abord déposer plainte et ce n’est qu’en cas de classement sans suite ou d’inertie du parquet, qu’il peut, dans un second temps, déposer plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction. 
 
Sauf que cette exigence ne concerne que les délits. Et non les crimes.
 
 
En l’espèce le courrier litigieux date de mai 2008. Mais le délai de prescription de l’action publique de droit commun en matière criminelle est de 20 ans (article 7 du code de procédure pénale) à compter du jour où l’infraction a été commise. Un faux en écriture publique commis par une personne dépositaire de l’autorité publique étant un crime, c’est ce délai de prescription qui s’applique. 
 
 

Un crime passible de 15 ans de réclusion criminelle

Or l’administré objecte qu’en l’espèce le faux commis est bien un crime au regard de l’article 441-4 du code pénal :
 

Le faux commis dans une écriture publique ou authentique ou dans un enregistrement ordonné par l’autorité publique est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende.

L’usage du faux mentionné à l’alinéa qui précède est puni des mêmes peines.

Les peines sont portées à quinze ans de réclusion criminelle et à 225 000 euros d’amende lorsque le faux ou l’usage de faux est commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant dans l’exercice de ses fonctions ou de sa mission."

La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Grenoble ne partage pas cette analyse et confirme l’ordonnance du juge d’instruction déclarant irrecevable la constitution de partie civile.

 
En effet, pour la chambre de l’instruction, "l’acte argué de faux, en l’espèce une lettre sur papier à en tête du maire adressée le 23 mai 2008 à la CADA, ne peut revêtir la qualification d’écriture publique ou authentique". 
 
En somme une simple lettre sur papier à en tête du maire n’est pas une écriture publique au sens du code pénal. 
 

Tout écrit qui atteste un droit ou un fait rédigé dans l’exercice de ses attributions par un maire

 

La Cour de cassation censure l’arrêt et donne raison au plaignant : 

 
En effet, tout écrit qui atteste un droit ou un fait rédigé dans l’exercice de ses attributions par un maire, personne exerçant une fonction publique, constitue une écriture publique".
La Cour de cassation ne se prononce pas sur le fond de l’affaire et ne dit que le maire s’est rendu coupable du faux en écriture. Elle souligne en revanche que si tel est le cas, c’est bien une qualification criminelle qui doit être retenue :
 
En conséquence, la falsification frauduleuse d’un tel document, dans les conditions de l’article 441-1 du code pénal, si elle est établie, est susceptible de constituer le crime de faux en écriture publique commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public".
Le faux en écriture publique étant passible de 15 ans de réclusion criminelle, il est depuis le 1e janvier 2023 du ressort de la Cour criminelle. Celle-ci est composée de cinq magistrats professionnels. L’appel est en revanche du ressort de la cour d’assises d’appel qui est bien composée d’un juré de 9 personnes. 
 

La correctionnalisation en sursis ?

La plupart du temps de tels faits sont "correctionnalisés" et sont poursuivis devant le tribunal correctionnel compétent pour juger les délits. Mais les règles de compétence étant d’ordre public, il suffit que l’une des parties (ou le tribunal lui même), soulève l’incompétence pour que la Cour criminelle soit saisie. Depuis que la Cour criminelle (qui n’est pas composée de jurés populaires) est compétente pour les crimes passibles jusqu’à 20 ans de réclusion criminelle, on peut se demander si la qualification criminelle ne sera pas plus souvent retenue, l’intérêt principal de la correctionnalisation étant d’éviter la procédure lourde des assises. 
 
L’arrêt de la chambre criminelle posant le principe que "tout écrit qui atteste un droit ou un fait rédigé dans l’exercice de ses attributions par un maire, personne exerçant une fonction publique, constitue une écriture publique" (y compris donc un courrier sur du papier à en tête du maire) ouvre la voie en ce sens. Avec un délai de prescription de l’action publique de 20 ans, les requérants ont le temps de préparer leur dossier pour saisir directement le doyen des juges d’instruction sans avoir à déposer une plainte au préalable devant le procureur de la République ou les services de la gendarmerie ou de la police nationale. 
 

Les fonctionnaires territoriaux aussi concernés 

Un directeur des général des services (DGS) a été poursuivi aux assises (avant l’introduction de la Cour criminelle) pour avoir transmis en préfecture, sur ordre du maire, une fausse délibération du conseil municipal. Il objectait pour sa défense que la qualification criminelle ne pouvait être retenue à son encontre dès lors qu’il n’était pas lui-même dépositaire de l’autorité publique. La Cour de cassation rejette le moyen en retenant que "l’accusé, bien que non dépositaire de l’autorité publique, encourt, en tant que complice, les mêmes peines criminelles que l’auteur principal".