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Sebastian Staines sur Unsplash

Accident hors-pistes : quelles responsabilités de la commune ?

Cour administrative d’appel de Lyon, 21 décembre 2023 : n°22LY01267

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Chute d’un skieur hors-pistes en raison de la présence non signalée d’un talweg recouvert de neige : la commune peut-elle être déclarée responsable ?

 
Potentiellement oui : si le talweg est situé sur un parcours fréquemment emprunté par les skieurs. Même hors du domaine skiable, il peut constituer un danger exceptionnel susceptible d’engager la responsabilité de la commune en cas de carence du maire à signaler ce danger. « Il appartient notamment au maire de signaler spécialement les dangers excédant ceux contre lesquels les intéressés doivent normalement, par prudence, se prémunir ».
Tel n’est pas jugé le cas en l’espèce, dès lors que le parcours emprunté par le skieur expérimenté n’était pas un chemin « fréquemment emprunté par les usagers du domaine skiable ». Le talweg ne constituait pas un danger exceptionnel nécessitant une signalisation précise supplémentaire au balisage déjà présent sur une portion du cours d’eau le plus proche de la piste ; balisage dont la signification ne pouvait être ignorée par un professionnel de l’enseignement du ski souligne le juge.
 
 
Evoluant hors domaine skiable, un professeur d’éducation physique et sportive est victime d’une chute de plusieurs mètres alors qu’il tentait de traverser un talweg occupé par un cours d’eau. Ce talweg recouvert par un pont de neige s’est effondré sous le poids du skieur.
 
Grièvement blessée la victime recherche la responsabilité de la commune sur le fondement d’une faute du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police et à titre subsidiaire celle de l’exploitant du domaine skiable.
 
Le requérant réclame une somme de plus de 640 000 euros en réparation des préjudices subis.
 

Absence de faute dans l’exercice des pouvoirs de police

 
Aux termes de l’article L.2212-2 du CGCT, le maire est tenu de prévenir par des précautions convenables, et faire cesser par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les catastrophes naturelles (avalanches) sur l’ensemble du territoire.
Et, « il appartient notamment au maire de signaler spécialement les dangers excédant ceux contre lesquels les intéressés doivent normalement, par prudence, se prémunir. »
 
Le maire était-il tenu de signaler précisément le talweg et le pont de neige qui le masquait ? C’est ce que soutient le requérant. Tel n’est pas l’avis du juge lyonnais qui écarte la responsabilité de la commune.
 

Un chemin non habituellement fréquenté par les skieurs

D’une part, le chemin emprunté par le skieur imprudent n’était pas un chemin « fréquemment emprunté par les usagers du domaine skiable ».
 
La responsabilité de la commune peut être recherchée en cas de carence du maire à signaler un danger sur un parcours non ouvert aux skieurs dès lors qu’il s’agit d’un parcours « habituellement emprunté par les skieurs ». il a ainsi été jugé que le maire commet une faute en ne signalant pas le danger exceptionnel représenté par une dénivellation profonde et abrupte présente sur un parcours fréquemment emprunté du domaine non skiable [1].
 
Le juge relève que la victime n’a pas été contrainte de quitter la piste en raison de son état. Au contraire, c’est volontairement qu’elle s’est aventurée sur une piste non balisée.
Des attestations produites par trois élèves du groupe encadré par le professeur faisaient état « de traces marquant le chemin suivi par le professeur ». Cela ne suffit pas à caractériser la fréquence du passage estime le juge.
 

Absence de « danger exceptionnel »

 
D’autre part, le maire n’est tenu de prendre des dispositions convenables pour assurer la sécurité des skieurs sur un chemin hors-piste fréquemment emprunté qu’en cas de danger exceptionnel [2]. Or, en l’espèce, souligne la cour administrative d’appel, 
 
il ne résulte pas de l’instruction que ce chemin faisait partie de ceux, qui, bien que hors du domaine skiable, doivent donner lieu, dans l’exercice par le maire de son pouvoir de police, à une signalisation, voire à une interdiction d’accès, en cas de danger exceptionnel ».
 
De plus, l’endroit n’était pas dépourvu de toute signalisation. En effet, un balisage (balises rayées de noir et de jaune) était disposé le long de la portion du ruisseau la plus proche de la piste.
 
Ce dispositif était approprié à la nature du danger constitué par le cours d’eau, « sans qu’il ne puisse être reproché au maire de ne pas l’avoir étendu à tout le talweg ».
 
Enfin, la signification de ce balisage ne pouvait être ignorée par un professionnel de l’enseignement du ski. Il appartenait donc au skieur de se prémunir contre ce danger conclut le juge.
 
En conséquence, aucune faute ne peut être reprochée au maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police.
 
Dans un autre accident il a été jugé qu’un talweg, d’une profondeur de trois mètres et d’une largeur de deux mètres, difficilement décelable et situé sur un itinéraire habituellement emprunté des skieurs constitue un danger exceptionnel et excède, « compte tenu de sa nature et de sa faible visibilité, les dangers contre lesquels les intéressés doivent personnellement, par leur prudence, se prémunir ». L’absence de dispositifs convenables pour assurer la sécurité des skieurs (notamment une signalisation appropriée) est jugée fautive. Dans cette affaire, une faute de la victime est néanmoins retenue à hauteur de 50 %. Le skieur a nécessairement dû avoir conscience qu’il empruntait un passage hors piste. De plus, les conditions météorologiques, caractérisées par une mauvaise visibilité, appelaient à une prudence renforcée pour emprunter ce type d’itinéraire [3].
 

L’exploitation des pistes de ski : un service public industriel et commercial relevant de la compétence du juge judiciaire

 
La cour administrative d’appel rappelle que l’exploitation des pistes de ski (incluant notamment leur entretien et leur sécurité) constitue un service public industriel et commercial (SPIC). En 2009, le Conseil d’État avait qualifié l’exploitation des pistes de ski de SPIC transférant ainsi le contentieux en matière d’accidents de ski imputés à ce service aux juridictions judiciaire [4].
 
 
 En vertu de l’article L. 342-13 du code du tourisme, l’exploitation des pistes de ski, qui inclut notamment leur entretien et leur sécurité, constitue un service public industriel et commercial. En raison de la nature juridique des liens existant entre les services publics industriels et commerciaux et leurs usagers, lesquels sont des liens de droit privé, les tribunaux judiciaires sont seuls compétents pour connaître d’un litige opposant une victime à l’exploitant d’un domaine skiable, que sa responsabilité soit recherchée pour faute ou sans faute ».
 
La cour administrative d’appel de Lyon conclut donc qu’elle n’est pas compétente pour connaître des conclusions présentées par la victime à l’encontre de la société gestionnaire du domaine skiable de la commune.
 
 
 
 
 
 

[1CE, 22 décembre 1971 : n°80060

[2Jugé en ce sens : CE, 31 mai 2013 : n°350887

[3CAA Lyon, 13 novembre 2014 : n°13LY03383