Le portail juridique des risques
de la vie territoriale & associative

Recours abusifs contre des autorisations d’urbanisme : une amende dissuasive ?

Cour administrative d’appel de Nantes, 31 mars 2023, n°21NT02704

Un administré qui multiplie les recours infondés contre les décisions d’urbanisme de la commune peut-il être condamné à une amende pour procédure abusive ?

Oui : le juge administratif peut prononcer une amende qui peut s’élever jusqu’à 10 000 euros.
En l’espèce, après avoir écarté la responsabilité de la commune concernant les autorisations d’urbanisme délivrées aux voisins de la requérante, le juge se saisit de cette faculté pour sanctionner le caractère abusif de la requête et condamner l’administrée au paiement d’une amende d’un montant de 3000 euros (amende qui n’a pas une vocation indemnitaire). Le juge relève que la demande était très peu circonstanciée « en ce qui concerne tant l’existence des fautes prétendument commises par la commune ( …) que le lien de causalité avec les préjudices allégués » et qu’elle a été introduite alors que tous les recours en annulation formées contre les autorisations d’urbanisme délivrés aux voisins ont été rejetés.

L’affaire s’inscrit dans le cadre d’un conflit de voisinage.
Depuis 10 ans, une administrée multiplie les recours à l’encontre des autorisations d’urbanisme délivrées aux propriétaires sucessifs du terrain avoisinnant la propriété de sa défunte mère pour faire échec aux projets de construction.

Mais toutes ces requêtes en annulation ont été rejetées par le juge administratif !

En 2020 et 2021 l’administrée s’adresse de nouveau au juge administratif pour demander la condamnation de la commune ayant délivré les autorisations d’urbanisme aux voisins (autorisations qu’elle estime illégales) à l’indemniser des préjudices subis.

Devant le tribunal administratif de Nantes, elle recherche la responsabilité pour faute de la collectivité et réclame une somme de 1 750 000 euros en réparation de la perte de la valeur vénale de la parcelle. Selon elle, ces autorisations ont eu pour effet de rendre sa propriété invendable. Elle sollicite également une somme de 86 000 euros en réparation des préjudices matériels et moraux.

Par un jugement du 27 juillet 2021 le tribunal administratif de Nantes estime que « les allégations de la requérante tendant à établir les vices dont seraient entachées les autorisations d’urbanisme délivrées à ses voisins ne sont pas assorties de précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé, les explications de la requérante étant particulièrement lacunaires et confuses ».

L’administrée n’établit pas que la commune aurait commis une faute en délivrant ces autorisations.

L’intéressée relève appel du jugement et persiste à soutenir que la commune a commis une succession de fautes en délivrant les autorisations d’urbanisme à ses voisins. Tel n’est pas l’avis de la cour administrative d’appel qui rejette la requête et condamne l’administrée à une amende pour recours abusif.

Aucune faute de la commune dans la délivrance des autorisations d’urbanisme

D’une part, contrairement à ce que soutient la requérante, les erreurs de numérotation de parcelles concernées par les demandes de permis ne sont que purement matérielles et sans incidence sur la légalité de ces autorisations. Elles ne sont pas de nature à caractériser une faute de la commune.

D’autre part, le juge rejette l’argument de l’administrée selon lequel sa parcelle se trouve partiellement enclavée du fait de l’étroitesse du chemin qui est également utilisé pour desservir la parcelle voisine : les précisions sont insuffisantes pour permettre au juge « d’en apprécier le bien-fondé quant à l’existence d’une prétendue faute de la commune ».

De plus, la requérante n’établit pas que les dispositions du PLU en vigueur à la date de la délivrance des permis de construire litigieux interdisaient la construction d’une maison.

Enfin, n’est pas illégal l’arrêté par lequel le maire ne s’est pas opposé à la déclaration préalable concernant l’abattage d’un grand eucalyptus : l’intéressée se borne à soutenir, de façon erronée, que " l’architecte des bâtiments de France avait interdit tout défrichage avant le début des travaux ».

Insolite

Serial procédurier : juriste en culottes courtes recherche commune d’accueil pour s’aguerrir...

Amende pour recours abusif

L’article R.741-12 du Code de justice administrative confère au juge administratif la possibilité d’assortir sa décision d’une amende pour recours abusif :

« Le juge peut infliger à l’auteur d’une requête qu’il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros ».

Il s’agit d’un pouvoir propre du juge. Il a ainsi été jugé qu’une administration ne peut pas demander au juge la condamnation du requérant au paiement d’une telle amende :
« les conclusions tendant à ce que la société requérante soit condamnée sur le fondement de ces dispositions ne sont pas recevables. » [1]

Le montant de l’amende est apprécié souverainement par le juge.

Au cas présent, le juge d’appel relève que la requête :

 est très peu circonstanciée « en ce qui concerne tant l’existence des fautes prétendument commises par la commune ( …) que le lien de causalité avec les préjudices allégués » ;

 a été introduite alors que tous les recours en annulation formées contre les autorisations d’urbanisme délivrés aux voisins ont été rejetés.

Le juge en conclut que la requête présente un caractère abusif. L’administrée est condamnée à une amende de 3000 euros. Elle devra également verser 2000 euros à la commune au titre des frais liés à l’instance.

Dommages et intérêts au profit du pétitionnaire pour recours abusifs


A côté de cette amende qui n’a pas une vocation indemnitaire, il existe un dispositif permettant au bénéficiaire d’un permis de construire (de démolir ou d’aménager) de demander au juge de l’excès de pouvoir de condamner l’auteur d’un recours abusif à lui allouer des dommages et intérêts.

En effet, aux termes de l’article L.600-7 du code de l’urbanisme créé par l’ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013 et modifié par la loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 (Loi Elan) :

« Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant et qui causent un préjudice au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel ».



Une association a par exemple été condamnée à verser la somme de 3000 euros en réparation du préjudice moral subi par une société bénéficiaire du permis de construire, qui dans l’attente de pouvoir disposer d’un permis ayant acquis un caractère définitif, n’avait toujours pas pu mener à bien son projet d’aménagement et de vente de la parcelle à lotir [2].

Jusqu’à présent cette possibilité n’excluait pas la compétence du juge judiciaire pour indemniser le préjudice subi en raison d’un recours abusif contre un permis de construire (action exercée sur le fondement de l’article 1240 du code civil) [3] :

« La faculté, qui n’est ouverte que dans des conditions strictement définies, ne fait pas obstacle à ce qu’une demande de dommages-intérêts soit ultérieurement formée devant le juge judiciaire sur le fondement du droit commun pour indemniser le préjudice subi du fait d’un recours abusif , sous la seule réserve que ne soit pas indemnisé deux fois le même préjudice »



Mais un arrêt de la Cour d’appel de Versailles [4] revient sur cette position et estime qu’avec la loi Elan « la volonté du législateur était de faire spécialement du juge administratif le juge de la responsabilité en matière de recours abusifs contre un permis de construire, à l’exclusion du juge judiciaire. »
🔎 Pour approfondir ce sujet : "Recours abusif et permis de construire = compétence exclusive du juge administratif" par Me Antoine Louche

Cour administrative d’appel de Nantes, 31 mars 2023 : n°21NT02704

[1Conseil d’Etat, 31 janvier 2007 : n°294896

[2Cour administrative d’appel de Versailles, 3 octobre 2019 : n°18VE01741

[3Cass. Civ., 16 novembre 2016 : n°16-14.152 ; Cass.civ. 5 novembre 2020 n°19-18.636)

[4Cour d’appel de Versailles, 25 octobre 2022, n°21/03384