Contexte
Face à la multiplication des sinistres causés par les phénomènes de sécheresse-réhydratation des sols (retrait-gonflement des argiles), la prise en charge du risque sécheresse fait débat. Rappelons que ce risque est intégré dans le régime « catnat » depuis 1989.
L’année 2022 a été marquée par une sécheresse d’une ampleur exceptionnelle, dont le coût d’indemnisation est évalué à 2,9 milliards d’euros. Cet évènement extrême témoigne de l’intensification et de l’augmentation de la fréquence des effets du changement climatique. En France, plus de la moitié des maisons individuelles sont construites sur des sols argileux susceptibles de présenter un risque moyen ou fort de dégâts provoqués par ce phénomène naturel [1].
Afin d’améliorer la prise en charge de ce risque, une réforme du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles a été engagée par l’État.
– Le risque sécheresse-réhydratation des sols a tout d’abord été abordé par la loi du 28 décembre 2021 relative à l’indemnisation des catastrophes naturelles. Mais ce texte ne contenait finalement que très peu de mesures que nous avions mentionnées (Loi relative à l’indemnisation des catastrophes naturelles : tour d’horizon des principales nouveautés).
– L’ordonnance du 8 février 2023 contient en revanche plusieurs dispositions dont les effets doivent permettre d’augmenter le nombre de communes éligibles à la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle concernant les désordres causés par le phénomène naturel de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse ou à la réhydratation des sols.
Un nouveau mécanisme de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle
Actuellement, les critères de reconnaissance sont fondés sur l’intensité d’une sécheresse mesurée sur une période donnée. Une circulaire du 10 mai 2019 (PDF) précise la méthode mise en œuvre pour instruire les demandes communales de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle au titre des épisodes de sécheresse-réhydratation des sols et détaille les critères pour caractériser l’intensité d’un épisode de sécheresse-réhydratation des sols (critère géotechnique et critère météorologique).
Désormais, la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pourra concerner également les communes ayant subi une succession anormale d’événements de sécheresse d’ampleur significative mais dont l’intensité mesurée année par année ne remplit pas les critères actuels.
L’article L. 125-1 du Code des assurances est modifié en conséquence :
Précisions apportées par le Communiqué de presse du Conseil des ministres (mesures à venir)
Délai pour transmettre la demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle
La loi du 28 décembre 2021 relative à l’indemnisation des catastrophes naturelles a allongé le délai dont disposent les communes pour transmettre au préfet leur
demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Il est désormais de 24 mois après le début de la survenance de l’évènement naturel (article L.125-1 du Code des assurances modifié).
L’ordonnance apporte une précision pour les mouvements de terrain différentiels : ce délai de vingt-quatre mois intervient après le dernier évènement de sécheresse donnant lieu à la demande communale (article L.125-1 alinéa 5 du Code des assurances complété).
Une indemnisation ciblée
L’indemnisation est limitée aux dommages susceptibles d’affecter la solidité du bâti ou d’entraver l’usage normal du bâtiment.
L’alinéa 2 de l’article L.125-2 du Code des assurances est ainsi complété :
Le décret du 5 février 2024 détaille les conditions de mise en œuvre de la garantie prévue à l’article L.125-1 du Code des assurances (nouvel article R.125-7 du même code) :
- La garantie couvre l’ensemble des dommages qui affectent la solidité du bâti ou entravent l’usage normal des bâtiments rappelle l’article.
- Cette garantie couvre également les dommages ne présentant pas ces caractéristiques au moment du constat des désordres dès lorsqu’ils sont de nature à évoluer défavorablement et à affecter la solidité du bâti ou à entraver l’usage normal des bâtiments.
- Exclusion du champ de la garantie :
Affectation de l’indemnité perçue
L’indemnité perçue par l’assuré au titre du sinistre causé par un phénomène de sécheresse- réhydratation des sols doit être obligatoirement utilisée pour réparer les dommages consécutifs aux mouvements de terrain différentiels. Afin de renforcer la prévention face à de futurs sinistres, les sinistrés ont donc l’obligation d’affecter l’indemnité « à la réalisation effective des travaux de réparation durable de leur habitation ».
Alinéa 4 de l’article L.125-2 du Code des assurances complété :
Les modalités de mise en œuvre de cette obligation sont précisées par le décret du 5 février 2024.
Le nouvel article R.125-6-1 du Code des assurances rappelle que « l’indemnité (…) doi
t être utilisée pour la remise en état effective du bien conformément aux recommandations issues du rapport d’expertise ».
Toutefois, il existe un cas de dérogation :
En effet, cette obligation de l’utilisation de l’indemnité ne s’applique pas lorsque le montant des travaux de réparation permettant la remise en état effective du bien est supérieur à la valeur vénale de la chose assurée au moment du sinistre.
Conséquences de la méconnaissance par l’assuré de son obligation d’affectation de l’indemnité :
- L’assuré est informé de cette obligation par son assureur lors de la transmission de la proposition d’indemnisation.
- L’assuré transmet à l’assureur les factures justifiant la réalisation des travaux de réparation.
- L’assureur peut conditionner le versement du solde de l’indemnité à la transmission des factures.
- A la réception de ces factures, l’assureur dispose d’un délai de 21 jours pour verser le solde de l’indemnisation.
Vente du bien assuré
L’information est jointe à l’état des risques prévu au IV de l’article L.125-5 du Code de l’environnement et annexé à la promesse de vente ou, à défaut de promesse, à l’acte authentique de vente (article R.125-6-1 alinéa 5 du Code des assurances).
Par conséquent, l’article R.125-24 du Code de l’environnement (article relatif au dispositif d’information des acquéreurs et des locataires sur les risques) est complété afin de préciser que la liste des travaux doit être jointe à l’état des risques.
Biens exclus de la garantie sécheresse
L’ordonnance crée un nouvel article concernant les biens exclus du droit à la garantie. Aux termes de l’article L.125-7 du Code des assurances sont exclus du bénéfice de la garantie :
– les bâtiments construits sans permis de construire lorsque ce dernier est requis (en application de l’article L. 421-1 du Code de l’urbanisme) ;
– pendant une durée de dix ans suivant la réception des travaux, les bâtiments soumis aux dispositions des articles L.132-4 à L.132-8 du Code de la construction et de l’habitation (étude géotechnique), dont le dépôt du permis de construire a été effectué après le 1er janvier 2024, si le maître d’ouvrage ou le propriétaire du bien ne justifie pas que l’attestation RGA [4] a bien été déposée auprès de l’autorité compétente ayant délivré l’autorisation.
Règles spécifiques relatives à l’expertise
L’ordonnance fixe des règles spécifiques d’encadrement de l’expertise d’assurance en matière de sécheresse et de réhydratation des sols et définit un régime de contrôles et de sanctions des experts. L’objectif est de renforcer l’harmonisation des conditions de réalisation des rapports d’expertise.
Quatre nouveaux articles sont ainsi insérés dans le Code des assurances (articles L.125-2-1 à L.125-2-4).
Un décret en Conseil d’État est attendu pour préciser les obligations incombant aux experts désignés par les assureurs dans la conduite de l’expertise, le contenu du rapport d’expertise ainsi que les modalités et délais d’élaboration de l’expertise (article L.125-2-1).
L’article L.125-2-4 définit les sanctions administratives applicables lorsque l’expert manque à ses obligations :
– invalidité du rapport d’expertise ;
– interdiction d’exercer d’exercer toute mission en lien avec l’expertise pendant une durée n’excédant pas douze mois ;
– paiement d’une amende administrative et astreinte.
Les sanctions « tiennent compte de la gravité du manquement constaté, de sa nature intentionnelle ou involontaire, des préjudices subis en conséquence par les assurés et les entreprises d’assurance ainsi que des mesures prises par l’expert pour remédier aux dysfonctionnements constatés et réparer les préjudices causés.
Ces sanctions sont exercées sans préjudice des sanctions civiles ou pénales résultant des actions judiciaires engagées par l’assuré ».
Ces dispositions entreront en vigueur à une date fixée par décret et au plus tard le 1er janvier 2025.
Le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance précise que ces mesures n’emportent aucune charge financière nouvelle pour les collectivités territoriales.
La commission des finances du Sénat pas convaincue par l’ordonnance
Dans un rapport publié le 15 février 2023, le Sénat estime que l’ordonnance prise par le Gouvernement n’apporte pas de vraies avancées (Rapport d’information n° 354 (2022-2023) de Mme Christine LAVARDE, fait au nom de la commission des finances, déposé le 15 février 2023 - Synthèse - PDF) et formule six recommandations. Le rapport souligne ainsi que :
– Le risque "retrait-gonflement des argiles" touche plus de la moitié des logements individuels en France"
– Le changement climatique menace sérieusement l’équilibre du régime CATNAT
– L’ordonnance du 8 février 2023 ne résout pas le cœur du problème.
L’ordonnance entend ainsi réserver les indemnisations aux sinistres les plus graves. Cette disposition pose une série de difficultés qui inquiètent le rapporteur : fragilité juridique, remise en cause de la nature assurantielle du régime pour les sinistrés qui ne seront plus éligibles à indemnisation à raison de la nature des dommages sur leur bâti ou encore risque que certains « petits » dommages qualifiés « d’esthétiques » dégénèrent en des sinistres beaucoup plus significatifs et coûteux pour le régime. Une autre disposition prévue par l’ordonnance pose problème : l’obligation d’utiliser le montant de l’indemnisation pour réparer les dommages sur le bâti. Le rapporteur considère qu’une telle disposition est inéquitable dans la mesure où, parfois, la décision de démolir une habitation sinistrée pour reconstruire ailleurs est plus pertinente que d’engager de lourds travaux de réparation. Enfin, le rapporteur note que l’ordonnance ne règle en rien l’enjeu du financement à moyen – long terme de la prise en charge du risque RGA. La CCR aurait chiffré le coût annuel prévisionnel des dispositions de l’ordonnance pour le régime à 200 millions d’euros. À ce montant annuel, il conviendra d’ajouter le coût ponctuel de l’application rétroactive des dispositions sur le stock des sinistres. Le rapporteur note que, sans même tenir compte des incidences financières de cette ordonnance, la CCR a évalué à 420 millions d’euros le déficit annuel prévisionnel du régime CatNat en 2050. »
– Il est nécessaire de mettre en place une véritable politique de prévention sur le bâti existant
S’agissant du financement le rapport du Sénat estime que le fonds Barnier pourrait être utilisé pour confirmer l’efficacité des mesures horizontales les plus communément pratiquées, tandis que les mesures plus expérimentales, comme l’hydratation des sols et certaines techniques de drainage, pourraient quant à elles être financées via le 4ème programme d’investissements d’avenir.
Les 6 recommandations du rapporteur spécial1. Maintenir l’éligibilité au dispositif d’indemnisation des particuliers qui décident d’abandonner leur habitation sinistrée. 2. Conduire une expertise et mettre en œuvre des contrôles renforcés et systématiques sur les dossiers d’indemnisation dont le montant dépasse le coût moyen de construction d’une maison individuelle. 3. Poursuivre et renforcer les expérimentations de mesures de prévention du risque RGA portant sur l’environnement du bâti. 4. Mobiliser le fonds Barnier pour financer des expérimentations sur les techniques de prévention portant sur l’environnement du bâti les plus abouties, en vue de leur éventuelle généralisation. 5. Mobiliser les financements du 4ème programme d’investissements d’avenir pour développer de nouvelles techniques de prévention du RGA. 6. Financer en priorité des expérimentations de techniques de prévention du risque RGA dans les communes qui ont fait une demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pour cause de sécheresse mais qui ne l’ont pas obtenu. |
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Rapport du député Vincent Ledoux). « Ce rapport recommande que la prise en charge des sinistrés du RGA soit la même que celle des victimes des autres catastrophes naturelles, en termes de rapidité de prise en charge, de recherche de solutions de relogement ou encore d’accompagnement psychologique. La mission constate, par ailleurs, un déficit de confiance dans le système. La déontologie et l’indépendance des experts d’assurances, chargés de l’instruction des dossiers, sont régulièrement mises en doutes par les sinistrés et les maires. Le rapport préconise de renforcer les garanties ’indépendance des experts par rapport aux assureurs et de prévoir une exigence de formation. Autre recommandation, la création de 1 000 stations météorologiques du sol dans les communes les plus à risque ». Sur ce sujet lire article de Maires de France : Retrait-gonflement des argiles : un député appelle à un plan massif pour sortir de l’impasseEn octobre 2023 un rapport a été remis au ministre de l’Intérieur sur ce phénomène de retrait-gonflement des argiles (
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Par ailleurs, une proposition de loivisant à mieux indemniser les dégâts sur les biens immobiliers causés par le retrait-gonflement de l’argile a été adoptée en première lecture par l’Assemblée Nationale le 6 avril 2023 (proposition de loi votée contre l’avis du Gouvernement). Tel qu’adopté par les députés, ce texte vise notamment à modifier les critères de reconnaissance de l’état de catastrophe pour augmenter le nombre de communes reconnues en état de catastrophe naturelle au titre du phénomène de RGA. Il inscrit dans la loi une méthodologie adaptée à la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle de sécheresse, qui devra se fonder sur un critère de variation de l’humidité des sols mesurée sur le terrain.