
Conseil d’État, 8 février 2023, N° 452521
Tout citoyen peut-il demander communication des notes de frais du maire et du nom des participants ?
Oui répond le Conseil d’Etat dans un arrêt du 8 février 2023 : les notes de frais et reçus de déplacements ainsi que des notes de frais de restauration et reçus de frais de représentation d’élus locaux ou d’agents publics constituent des documents administratifs, communicables à toute personne qui en fait la demande. Ce droit à la communication ne nuit pas à la vie privée des personnes qui ont participé aux repas, y compris des personnes qui sont extérieures à la collectivité. Ce droit de communication est ouvert à toute personne sans restriction : contribuables, élus de l’opposition, agents de la collectivité, journalistes... Ce n’est qu’à titre très exceptionnel (« eu égard à certaines circonstances particulières tenant au contexte de l’évènement auquel un document se rapporte ») que l’autorité administrative peut décider, non pas de refuser la communication des documents, mais d’occulter certaines informations en les caviardant. Uniquement si « la communication de ces dernières informations ou celle du motif de la dépense serait de nature (...) à porter atteinte aux secrets et intérêts protégés par les articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration ». Autant dire que ces exceptions restent marginales et que s’agissant de notes de frais il sera difficile à une commune d’invoquer la protection de la vie privée, le secret médical ou le secret des affaires pour justifier une occultation du nom des participants.
En janvier 2018 un journaliste demande à la commune de Paris de lui communiquer la copie des notes de frais et des reçus des déplacements, des notes de frais de restauration ainsi que des reçus des autres frais de représentations de la maire et des membres de son cabinet et les autres frais de représentation de la maire, au titre de l’année 2017.
Sans réponse de la collectivité, il saisit la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Celle-ci [1] déclare sans objet la demande de communication des reçus de frais de représentation des membres du cabinet mais émet un avis favorable à la communication des autres documents demandés.
Pour autant la commune maintient son refus de communiquer les documents demandés dans leur intégralité.
L’intéressé saisit alors le tribunal administratif et lui demande d’enjoindre à la ville de lui communiquer l’ensemble des documents demandés sous astreinte de 150 euros par jour de retard et de condamner la ville à lui verser une somme de 8 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du refus illégal de lui communiquer ces documents.
Le tribunal administratif enjoint à la ville de lui communiquer ces documents non anonymisés et à lui verser 1 000 euros en réparation du préjudice matériel et moral subi en raison de ce refus.
Le tribunal administratif estime en effet que ces documents étaient relatifs aux comptes de la commune au sens de l’article L. 2121-26 du code général des collectivités territoriales (CGCT), aux termes duquel « Toute personne physique ou morale a le droit de demander communication (...) des budgets et des comptes de la commune (...) » .
🔎 La CADA |
Sur pourvoi de la commune, le Conseil d’Etat juge que le tribunal administratif a commis une erreur de droit en statuant ainsi. En effet le requérant s’est borné à se prévaloir du régime général d’accès aux documents administratifs organisé par les dispositions du code des relations entre le public et l’administration. Or il n’appartient pas au juge de l’excès de pouvoir, saisi sur le fondement du seul code des relations entre le public et l’administration de conclusions tendant à l’annulation d’un refus de communiquer un document administratif, d’examiner d’office si ce refus méconnaît les dispositions régissant un autre régime d’accès aux documents administratifs.
Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat apporte des précisions et rappelle l’état du droit.
Pas de droit à la communication des notes de frais au titre du CGCT...
En premier lieu le Conseil d’Etat écarte les dispositions du CGCT comme fondement possible à la demande de communication :
« Le droit de communication qu’instituent les dispositions de l’article L. 2121-26 du code général des collectivités territoriales s’agissant des " budgets " et des " comptes " des communes ne s’étend pas aux pièces justificatives des opérations et documents de comptabilité qu’il appartient à l’ordonnateur et au comptable public de conserver, en vertu des dispositions de l’article 52 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, lesquelles constituent des documents distincts des " comptes " visés par le droit de communication spécial établi par cet article du code général des collectivités territoriales. »
... mais les notes sont communicables à toute personne qui en fait la demande sur le fondement du code des relations entre le public et l’administration
Pour autant, poursuit le Conseil d’Etat, « des notes de frais et reçus de déplacements ainsi que des notes de frais de restauration et reçus de frais de représentation d’élus locaux ou d’agents publics constituent des documents administratifs, communicables à toute personne qui en fait la demande dans les conditions et sous les réserves prévues par les dispositions du code des relations entre le public et l’administration ».
« Toute personne qui en fait la demande » souligne le Conseil d’Etat : contribuables, élus de l’opposition, agents de la collectivité, journalistes...
La ville objectait que la communication de tels documents constituaient une atteinte à la vie privée. L’argument est écarté :
« La communication des documents demandés, qui ont trait à l’activité de la maire de Paris dans le cadre de son mandat et des membres de son cabinet dans le cadre de leurs fonctions, ne saurait être regardée comme mettant en cause la vie privée de ces personnes. En outre, contrairement à ce que soutient la Ville de Paris, la communication des mentions faisant le cas échéant apparaître l’identité et les fonctions des personnes invitées ne porte pas davantage atteinte, par principe, à la protection de vie privée de ces autres personnes ».
A titre très exceptionnel, certaines mentions peuvent être occultées
Ce n’est qu’à titre très exceptionnel (« eu égard à certaines circonstances particulières tenant au contexte de l’évènement auquel un document se rapporte ») que l’autorité administrative peut décider, non pas de refuser la communication des documents, mais d’occulter certaines informations en les caviardant. Uniquement si « la communication de ces dernières informations ou celle du motif de la dépense serait de nature (...) à porter atteinte aux secrets et intérêts protégés par les articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration ».
📕 Article L311-6 du Code des relations entre le public et l’administration 📕 Article L311-7 du Code des relations entre le public et l’administration |
Autant dire que ces exceptions restent marginales et que s’agissant de notes de frais il sera difficile à une commune d’invoquer la protection de la vie privée, le secret médical ou le secret des affaires pour justifier une occultation du nom des participants.
La décision de la commune refusant la communication des documents demandés est donc annulée. Cette dernière dispose d’un mois pour y faire droit.
📜 Article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 📜 Article 7 de la Charte de l’élu local (article L.1111-1-1 du Code général des collectivités territoriales) 📜 Article 4 du Code de conduite européen pour toutes les personnes participant à la gouvernance locale et régionale |
En revanche les conclusions indemnitaires du requérant sont rejetées. Le journaliste demandait une indemnité en raison de l’impossibilité dans laquelle il s’est trouvé de publier un article relatif à la gestion des dépenses budgétaires de la ville de Paris au titre de l’année 2017 et, d’autre part, de la multiplication des démarches qu’il a dû entreprendre aux fins d’obtenir la communication des documents administratifs en litige. Mais pour le Conseil d’Etat, l’intéressé n’établit pas avoir subi un préjudice matériel et moral en raison du refus fautif de l’administration de procéder à leur communication.
Conseil d’État,8 février 2023, N° 452521
[1] avis du 12 juillet 2018