Tout citoyen peut-il demander communication des notes de frais du maire et du nom des participants ?
En janvier 2018 un journaliste demande à la commune de Paris de lui communiquer la copie des notes de frais et des reçus des déplacements, des notes de frais de restauration ainsi que des reçus des autres frais de représentations de la maire et des membres de son cabinet et les autres frais de représentation de la maire, au titre de l’année 2017.
Sans réponse de la collectivité, il saisit la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Celle-ci [1] déclare sans objet la demande de communication des reçus de frais de représentation des membres du cabinet mais émet un avis favorable à la communication des autres documents demandés.
Pour autant la commune maintient son refus de communiquer les documents demandés dans leur intégralité.
L’intéressé saisit alors le tribunal administratif et lui demande d’enjoindre à la ville de lui communiquer l’ensemble des documents demandés sous astreinte de 150 euros par jour de retard et de condamner la ville à lui verser une somme de 8 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du refus illégal de lui communiquer ces documents.
Le tribunal administratif enjoint à la ville de lui communiquer ces documents non anonymisés et à lui verser 1 000 euros en réparation du préjudice matériel et moral subi en raison de ce refus.
Le tribunal administratif estime en effet que ces documents étaient relatifs aux comptes de la commune au sens de l’article L. 2121-26 du code général des collectivités territoriales (CGCT), aux termes duquel « Toute personne physique ou morale a le droit de demander communication (...) des budgets et des comptes de la commune (...) » .
La CADALa Commission d’accès aux documents administratifs est une autorité administrative indépendante chargée de veiller à la liberté d’accès aux documents administratifs et aux archives publiques ainsi qu’à la réutilisation des informations publiques. Elle peut être saisie par les personnes (physiques ou morales) qui se sont vues opposer une décision défavorable en matière d’accès aux documents administratifs ou de réutilisation des informations publiques. La commission peut aussi être saisie, à titre de conseil, par les administrations sollicitées en ces matières. Avant la saisine de la commission une demande d’accès ou de publication de documents administratifs ou de réutilisation d ‘informations publiques doit être adressée à l’administration qui détient le document. En cas de refus, ou d’absence de réponse, la saisine de la CADA est possible. Afin de faciliter les démarches des particuliers, la commission propose un formulaire de saisine en ligne. Depuis 2018, la CADA a mis en place un simulateur de communicabilité. C’est est un outil d’aide pour les administrations et d’information pour les demandeurs sur le caractère communicable des documents. |
Sur pourvoi de la commune, le Conseil d’Etat juge que le tribunal administratif a commis une erreur de droit en statuant ainsi. En effet le requérant s’est borné à se prévaloir du régime général d’accès aux documents administratifs organisé par les dispositions du code des relations entre le public et l’administration. Or il n’appartient pas au juge de l’excès de pouvoir, saisi sur le fondement du seul code des relations entre le public et l’administration de conclusions tendant à l’annulation d’un refus de communiquer un document administratif, d’examiner d’office si ce refus méconnaît les dispositions régissant un autre régime d’accès aux documents administratifs.
Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat apporte des précisions et rappelle l’état du droit.
Pas de droit à la communication des notes de frais au titre du CGCT...
En premier lieu le Conseil d’Etat écarte les dispositions du CGCT comme fondement possible à la demande de communication :
... mais les notes sont communicables à toute personne qui en fait la demande sur le fondement du code des relations entre le public et l’administration
« Toute personne qui en fait la demande » souligne le Conseil d’Etat : contribuables, élus de l’opposition, agents de la collectivité, journalistes...
La ville objectait que la communication de tels documents constituaient une atteinte à la vie privée. L’argument est écarté :
A titre très exceptionnel, certaines mentions peuvent être occultées
Ce n’est qu’à titre très exceptionnel (« eu égard à certaines circonstances particulières tenant au contexte de l’évènement auquel un document se rapporte ») que l’autorité administrative peut décider, non pas de refuser la communication des documents, mais d’occulter certaines informations en les caviardant. Uniquement si « la communication de ces dernières informations ou celle du motif de la dépense serait de nature (...) à porter atteinte aux secrets et intérêts protégés par les articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration ».
Article L311-6 du Code des relations entre le public et l’administration« Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence ; 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; 3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. Les informations à caractère médical sont communiquées à l’intéressé, selon son choix, directement ou par l’intermédiaire d’un médecin qu’il désigne à cet effet, dans le respect des dispositions de l’article L. 1111-7 du code de la santé publique. » Article L311-7 du Code des relations entre le public et l’administration« Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. » |
Autant dire que ces exceptions restent marginales et que s’agissant de notes de frais il sera difficile à une commune d’invoquer la protection de la vie privée, le secret médical ou le secret des affaires pour justifier une occultation du nom des participants.
La décision de la commune refusant la communication des documents demandés est donc annulée. Cette dernière dispose d’un mois pour y faire droit.
📜 Article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789« La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration. » 📜 Article 7 de la Charte de l’élu local (article L.1111-1-1 du Code général des collectivités territoriales)« Issu du suffrage universel, l’élu local est et reste responsable de ses actes pour la durée de son mandat devant l’ensemble des citoyens de la collectivité territoriale, à qui il rend compte des actes et décisions pris dans le cadre de ses fonctions. » 📜 Article 4 du Code de conduite européen pour toutes les personnes participant à la gouvernance locale et régionale« Tous les acteurs sont responsables de leurs décisions et actions et doivent être prêts à les justifier de manière détaillée. » |
En revanche les conclusions indemnitaires du requérant sont rejetées. Le journaliste demandait une indemnité en raison de l’impossibilité dans laquelle il s’est trouvé de publier un article relatif à la gestion des dépenses budgétaires de la ville de Paris au titre de l’année 2017 et, d’autre part, de la multiplication des démarches qu’il a dû entreprendre aux fins d’obtenir la communication des documents administratifs en litige. Mais pour le Conseil d’Etat, l’intéressé n’établit pas avoir subi un préjudice matériel et moral en raison du refus fautif de l’administration de procéder à leur communication.
[1] avis du 12 juillet 2018