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Les collectivités territoriales face aux conflits d’intérêts

Synthèse et replay du 21è colloque de l’Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale par Séverine Bellina (membre du réseau Service public)

En attendant la parution des actes (1er trimestre 2023), retrouvez la synthèse et le replay du 21e colloque de l’Observatoire SMACL consacré aux collectivités territoriales face aux conflits d’intérêts. Avec en prime quelques dessins savoureux de Jean Duverdier.

Les collectivités locales face aux conflits d’intérêts, tel est le sujet qui a réuni, ce 20 octobre 2022 à l’occasion du 21ème colloque de l’Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale, un auditoire de 80 personnes au 8 rue d’Athènes-Paris et plus de 200 personnes en ligne.

Sujet central au sein des collectivités territoriales, les conflits d’intérêts restent une question difficile pour les élus et les agents eu égard la complexité du cadre législatif. Le colloque avait pour objectif de décortiquer le cadre légal, de le confronter aux pratiques, de comprendre les enjeux et d’ouvrir des perspectives de solutions aux élus locaux et fonctionnaires territoriaux. Il s’agissait de répondre aux nombreuses questions qu’ils se posent sur l’étendue de leurs obligations pour éviter de se placer en porte-à-faux ou pire, d’être condamnés malgré le sentiment d’avoir pris les précautions requises.

Le participants ont ainsi cheminé du décryptage précis de l’impact des évolutions législatives récentes (loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire et loi n° 2022-217 du 21 février 2022 dite loi 3DS relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale) vers la compréhension des enjeux liés à la mise en œuvre de ces textes, pour mieux aborder des perspectives d’évolutions de ces derniers et des actions de prévention autour notamment du référent déontologue.

La journée a été rythmée par des témoignages et des croisements d’expériences entre élus, parlementaires, agents, déontologues, avocats, juristes et magistrats. Les interactions avec le public ont été nombreuses et dynamiques. Le tout a brillamment été animé par Bruno Leprat, journaliste et illustré par Jean Duverdier, caricaturiste.

09H00 : Mot d’accueil de Jérôme BALOGE, président du Conseil d’administration de SMACL Assurances, maire de Niort, président de la Communauté d’agglomération du niortais

À l’occasion de l’ouverture, Jérôme BALOGE, président du conseil d’administration de SMACL Assurances Mutuelle, maire de Niort, président de la Communauté d’agglomération du niortais, a tenu en premier lieu à remercier chaleureusement l’ensemble des partenaires moteurs de la réussite Colloque et des travaux de l’Observatoire : Le CNFPT, l’APVF, l’ANDIISS, la fédération des EPL, France urbaine, l’AITF, l’ANJT, l’ADGCF, Mairie 2000, l’AMRF, Intercommunalités de France, le SNDGCT, l’ATTF, Villes de France, l’AATF et enfin Lexis Nexis et la MNT.

En tant qu’élu, Jérôme BALOGE a par ailleurs souligné la préoccupation que le sujet constitue pour les élus qui ont du mal à se mouvoir dans le millefeuille législatif et règlementaire actuel au risque de paralyser l’action publique locale.

« Pour un élu, conduire sa politique municipale ou communautaire, c’est faire des choix. Pour faire ces choix, il doit parfois se retirer, c’est curieux de le présenter ainsi mais c’est bien là ce qui est préconisé pour éviter le soupçon de prise illégale d’intérêt ».

Comprendre ses droits et les risques encourus, les prévenir et les maîtriser est un enjeu central pour les collectivités locales et les élus. C’est précisément le souci de la mutuelle SMACL assurance et de l’Observatoire à travers leur travail et les rencontres de vulgarisation de tels enjeux.

La prise illégale d’intérêtS fait partie des manquements au devoir de probité qui constituent le premier motif de mise en cause pénale des élus locaux. Pour la mandature 2014-2020 ce sont plus de 300 élus locaux qui ont été poursuivis pour prise illégale d’intérêts. Au-delà de l’infraction pénale, la problématique des conflits d’intérêts concerne toutes les collectivités quelle que soit leur taille. C’est d’ailleurs ce que Luc BRUNET et Marina TELLIER ont rappelé dans leur présentation de quatre chiffres exclusifs de l’étude « Les collectivités et les élu.e.s face aux risques », qui sortira le 10 novembre prochain, conduite par Infopro pour SMACL Assurances et Courrier des Maires. Les résultats de l’enquête démontrent une sous-estimation et une méconnaissance de cette problématique par les élus interrogés. Il y a donc un fort enjeu de formation et de sensibilisation, d’où l’intérêt de cette journée.

09h15 « Prévention et détection des atteintes à la probité au sein du secteur public local »

Olivier RENUCCI, Sous-direction du conseil, de l’analyse stratégique et des affaires internationales, chef du département du conseil aux acteurs publics, Agence Française Anti-corruption (AFA)

Les résultats d’une autre enquête conduite en 2021 par l’Agence Française Anti-corruption (AFA) exposés par Olivier RENUCCI de la sous-direction du Conseil, de l’analyse stratégique et des affaires internationales de l’AFA ont permis de présenter un état des lieux des mesures de prévention et de détection des atteintes à la probité au sein du secteur public local.
Couvrant les 6 infractions pénales d’atteinte à la probité l’enquête a permis de mesurer l’évolution du déploiement du référentiel anticorruption français dans les entités du service public local. Le dispositif anticorruption repose sur trois piliers : l’engagement des instances dirigeantes, la cartographie des risques et la gestion des risques (prévention, détection, remédiation).
On note une progression globale dans la mise en œuvre de ce dispositif (de 3 à 14% entre 2018 et 2021) avec un niveau de déploiement inégal notamment selon la taille des collectivités. Certains pans du dispositif (cartographie de risque), y compris ceux légaux (référents déontologues, obligation légale et règlementaire depuis 2017), restent quant à eux peu déployés ou connus (évaluation des tiers).

Le diaporama présenté par l’AFA (PDF)

09h45 Analyser et décortiquer le cadre juridique applicable aux acteurs publics locaux

 Me Philippe BLUTEAU, Oppidum avocats
 Me Yvon GOUTAL, cabinet Goutal, Alibert & associés
 Me Eric LANDOT, cabinet Landot & associés

La première table ronde organisée autour de trois éminents avocats a permis de décortiquer et analyser l’encadrement juridique des conflits d’intérêts en croisant le cadre pénal et administratif et en interrogeant la procédure de déport. Ils ont constaté la non convergence des analyses entre les juridictions administratives et les juridictions pénales. La tendance est celle d’un cadre juridique qui se rigidifie, avec une mise en œuvre de plus en plus artificielle, « théâtralisée » du déport. Les trois juristes sont d’accord pour dire que les nouveaux textes issus de la loi dans la confiance de l’institution judiciaire et de la loi 3DS n’améliorent pas la sécurité juridique des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux.

• Sur le plan pénal, Me Yvon GOUTAL, avocat associé, cabinet Goutal, Alibert & associés a rappelé que la prise illégale d’intérêt est lourdement sanctionnée (5 ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende, avec la tendance actuelle de prononcer l’exécution provisoire de la sanction d’inéligibilité). Il doute fortement que la nouvelle formulation de l’article 432-12 du code pénal (intérêt « de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité » de l’élu ou de l’agent, en remplacement de la notion « d’intérêt quelconque ») aille dans le sens d’une meilleure sécurité juridique. La nouvelle formulation consacre la notion d’apparence, ce qui peut conduire les élus à adopter une posture théâtrale. On résout en quelque sorte l’apparence, par l’apparence ce qui n’est pas satisfaisant sur le fond. Les exécutifs locaux doivent être tout particulièrement vigilants à la notion de complaisance qui peut les placer en porte-à-faux au titre de la complicité.

• Me Philippe BLUTEAU, avocat associé, Oppidum avocats a souligné que l’approche du juge administratif, lorsqu’il était saisi d’une demande d’annulation d’une délibération, était plus souple. Le juge administratif vérifie en effet que l’élu intéressé avait un intérêt distinct de celui de la collectivité ou de la généralité des habitants et qu’il ait influencé la décision. Il s’interroge sur la pertinence de la notion « en application de la loi » introduite dans l’article L. 1111 6 du CGCT, s’agissant de la représentation des communes dans les organismes extérieurs, estimant que cette précision neutralise en grande partie les avancées de la loi DS.

• Me Éric LANDOT, avocat fondateur, cabinet Landot & associé, est intervenu sur la procédure de déport. Il s’est notamment interrogé sur la pertinence d’un arrêté de déport pris par le maire intéressé pour déléguer à un adjoint, plaidant en faveur d’une désignation de l’adjoint via une délibération de l’assemblée à laquelle ne participe pas l’élu intéressé. Il conforte l’analyse de ses deux confrères en estimant que les évolutions législatives récentes ne sont pas de nature à apporter plus de sécurité juridique aux acteurs publics locaux.

11h30 Partager les retours de terrain et perspectives d’évolution des textes

 Amaury BRANDALISE, vice-président de l’Association des administrateurs territoriaux de France (AATF), Directeur des Assemblées, des Achats et de la Sécurité juridique au Département de la Gironde.
  Dominique CAP, maire de de Plougastel-Daoulas, président de l’association des maires du Finistère
  Nadège HAVET, sénatrice du Finistère

Centrée sur le témoignage émouvant du maire de Plougastel-Daoulas, Dominique CAP, condamné, pour prise illégale d’intérêts, avec plusieurs de ses adjoints, la deuxième table ronde a imposé la saisissante réalité des élus et a permis de mieux comprendre le traumatisme que pouvait engendrer une mise en cause pénale, y compris sur l’entourage des élus. Les élus condamnés pensaient avoir pris les précautions nécessaires dans l’exercice de leur déport s’agissant du vote d’une subvention à une association créée pour l’organisation d’une course cycliste sur préconisation de la fédération. Mais s’ils ont bien pris soin de ne pas prendre part au vote, il leur a été reproché d’être restés dans la salle.

Les échanges ont véritablement permis de rentrer dans le détail de l’application de la loi, de saisir sa logique, ses limites et ses excès et de dessiner des perspectives d’évolutions des textes. Le constat est général. L’esprit de la transparence et de la prévention des conflits d’intérêt est louable et absolument nécessaire. Néanmoins, le dispositif législatif actuel, de par sa complexité et son inadaptation à la réalité sur certains aspects, place les maires face à des incertitudes « totales » dans l’exercice de leur fonction. Dominique Cap qui est également président de l’association des maires du Finistère a partagé le désarroi des édiles.

Nadège HAVET, Sénatrice du Finistère et élue locale s’est emparée de ce sujet à titre personnel pour faire évoluer ce cadre législatif afin de mieux sécuriser les élus. Elle a rappelé la frilosité historique des parlementaires sur le sujet face à une opinion publique qui pense que les élus tendent à vouloir se protéger. Elle estime qu’un meilleur équilibre doit être trouvé dans la rédaction des textes et œuvre en ce sens. Elle a procédé à plusieurs auditions et ne désespère pouvoir trouver le bon cavalier législatif afin de mieux sécuriser l’action publique locale.

Amaury BRANDALISE, vice-président de l’AATF, directeur des assemblées, des achats et de la sécurité juridique département Gironde, est revenu sur les protocoles de déport. Il a témoigné de la complexité du cadre actuel auquel « plus grand monde ne comprend quelque chose ». À cela s’ajoute la lourdeur de la mise en œuvre du dispositif qui conduit parfois à des situations kafkaïennes. Le rôle des services est important sur la prévention des risques de prise illégale d’intérêt et la mise en œuvre de la technique du déport. Elle doit intervenir dès le début du dossier, pas uniquement au moment du vote.

Luc BRUNET, conclut les travaux de la matinée en soulignant que le droit pénal ne doit pas être l’Alpha et l’Omega du contrôle de l’action publique. Il souligne qu’il n’est pas de bonne politique pénale de mettre dans mettre sur le même plan de rares élus qui sont malhonnêtes avec des élus qui sont de bonne foi et qui n’ont pas porté atteinte à l’intérêt général.

14h30 Prévenir et agir : recommandations du référent déontologue et échanges de bonnes pratiques

  Jérôme DESCHÊNES, Directeur Général des Services
de la Commune nouvelle Villedieu-les-Poêles – Rouffigny, membre du Bureau national du SNDGCT, Conseiller technique du Président
chargé de l’éthique et de la déontologie
  Olivier GUILLAUMONT, magistrat administratif à la Cour administrative d’appel de Marseille
  Anne RINNERT, Responsable national Ethique publique au CNFPT
  Elise UNTERMAIER-KERLÉO, Maître de conférences de droit public à l’Université Jean Moulin Lyon 3, Référente déontologue, Membre de l’équipe scientifique de l’Observatoire de l’éthique publique

Enfin dans la table ronde 3, Jérôme DESCHÊNES, membre du Bureau national, conseiller technique du président chargé de l’éthique et de la déontologie SNDGCT, DGS de la commune nouvelle Villedieu-les-Poêles – Rouffigny, Olivier GUILLAUMONT, magistrat administratif à la Cour administrative d’appel de Marseille, Anne RINNERT, responsable nationale "éthique publique" au CNFPT et Élise UNTERMAIER-KERLÉO, maître de conférences de droit public à l’Université Jean Moulin Lyon 3, référente déontologue, membre de l’équipe scientifique de l’Observatoire de l’éthique publique, ont présenté le dispositif du référent déontologue au sein des collectivités locales.

Ils ont partagé leurs expériences en évoquant les situations des déontologues internes et externes, la question de leur indépendance ainsi que l’évolution souhaitable de leur rôle. Le référent déontologue a été institué pour apporter une réponse à tout agent et désormais à tout élu local (depuis la loi 3DS), qui est face à une situation où il ne sait pas comment agir pour respecter sa déontologie et éviter le risque pénal. Les conditions de désignations des référents sont très larges. Leur saisine et leurs avis sont confidentiels.

Le SNDGCT a réactualisé une Charte de déontologie des DGS. L’installation du référent déontologue doit s’insérer dans une véritable démarche de prévention de déontologie dans son double volet juridique et éthique. Élus et fonctionnaires doivent marcher ensemble sur le sujet et pour trouver des solutions. Élise UNTERMAIER-KERLÉO cite l’exemple de la métropole européenne de Lille qui a élaboré un code déontologique commun aux élus et aux agents.

Les formations à l’éthique et à la déontologie proposées par le CNFPT visent à développer la culture du risque et les réflexes déontologiques. Il conviendrait parallèlement de former les élus à cette culture du risque. On dénombre 150 référents déontologues dans le réseau national des référents territoriaux animées par le CNFPT mais il en existe beaucoup d’autres qui peuvent rejoindre ce groupe pour partager leur expérience et bénéficier de l’appui de leurs pairs.

Olivier GUILLAUMONT souligne que les collectivités locales qui ne se doteraient pas d’un référent déontologue n’encourent pas de sanction pénale. Néanmoins, dans cette hypothèse le risque des sanctions indirectes est bien réel que ce soit celles de l’AFA, de la HTVP, d’un potentiel recours d’un agent dont le droit à pouvoir saisir un déontologue est établi dans la loi. Citant Christian Vigouroux, il rappelle que « la déontologie est l’art de se poser les bonnes questions avant qu’il ne soit trop tard ».

Élodie BLAQUIÈRES, Directrice de l’Association des Maires et des Présidents d’intercommunalité de l’Hérault

Pour clore le Colloque, Élodie BLAQUIÈRES-BLANQUET, membre du conseil d’administration de SMACL Assurances, directrice de l’association des maires du département de l’Hérault pose la question : Que retenir ?
Que prudence est plus que jamais mère de sureté.
Qu’il est indispensable de conserver toutes les preuves – écrites évidemment – que les décisions ne sont pas guidées par un intérêt personnel.
Qu’il existe des outils et des personnes ressources sur lesquels les maires peuvent s’appuyer pour leur permettre de mener leur action publique et leur mandat sans être suspectés de conflits d’intérêt, et notamment depuis mars dernier, s’agissant des élus, pour les référent déontologues. Elle recommande chaudement la lecture du guide pratique de l’Observatoire SMACL sur la Charte de l’élu local et donne rendez-vous aux élus et fonctionnaires territoriaux le 18 octobre 2023 pour la 22è édition du colloque.

Animation : Bruno Leprat
Photos : Antoine Repessé
Dessins : Jean Duverdier

Le replay de la matinée

Le replay de l’après-midi