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Exhumation à la demande du plus proche parent des restes de corps déposés dans un ossuaire

Tribunal administratif de Nantes, 17 novembre 2021 : N°1908347

Exhumation à la demande du plus proche parent : le maire doit-il obligatoirement refuser l’exhumation des restes mortuaires transférés dans un ossuaire municipal après reprise d’une concession arrivée à échéance ?

Non, le maire n’est pas en situation de compétence liée pour refuser l’exhumation de corps de proches qui ont été déposés dans un ossuaire municipal. Un refus ne peut être fondé que sur un motif de police administrative (salubrité ou décence dans les cimetières) juge le tribunal administratif de Nantes.

 [1]

Suite à la reprise du terrain affecté à la concession acquis par le père de la requérante (il s’agissait d’une concession funéraire trentenaire arrivée à expiration), la commune transfert les restes des défunts dans l’ossuaire du cimetière.

Quelques mois plus tard, la fille des défunts sollicite l’exhumation des corps de ses parents de l’ossuaire du cimetière afin de pouvoir les inhumer dans un autre cimetière.

Le maire de la commune refuse l’exhumation. L’administrée demande alors au tribunal administratif de Nantes d’annuler cette décision.

Rappel des règles du CGCT

En premier lieu, le juge nantais rappelle les dispositions du code général des collectivités territoriales relatives à la reprise des concessions non renouvelées. L’article L.2223-15 dispose en substance qu’à l’expiration du délai de concession, si le renouvellement n’a pas été demandé dans les deux ans (défaut de paiement de la redevance), le terrain concédé fait retour à la commune.

Mais, avant de pouvoir accorder de nouveau la concession, une procédure d’exhumation doit intervenir. Les restes exhumés sont alors "réunis dans un cercueil de dimensions appropriées" (article R.2223-20 du CGCT) et inhumés ensuite dans un lieu définitivement affecté à cet usage (ossuaire municipal prévu par l’article L.2223-4 (le maire peut également faire procéder à la crémation des restes exhumés en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt).

Le tribunal rappelle qu’il ne résulte pas de ces dispositions que les restes transférés vers l’ossuaire doivent être individualisés (déjà jugé en ce sens CE, 21 novembre 2016 : n°390298).

Le juge souligne également que la demande d’exhumation doit être faite par le plus proche parent de la personne défunte. Ce parent doit justifier de son état civil, de son domicile et de la qualité en vertu de laquelle il formule sa demande (Article R.2213-40 du code général des collectivités territoriales). Au cas présent, la qualité de plus proche parent n’était pas contestable puisque l’exhumation était demandée par la fille des défunts.

💥 Lorsqu’il est saisi d’une demande d’exhumation à l’initiative d’un membre de la famille, le maire doit s’assurer de la qualité de plus proche parent.
Le Conseil d’Etat a précisé les obligations auxquelles sont tenues les communes [2] :
 Le maire est tenu de « s’assurer, au vu des pièces fournies par le pétitionnaire, de la réalité du lien familial dont il se prévaut et de l’absence de parent plus proche du défunt que lui ».
 Le parent demandeur doit attester sur l’honneur qu’il n’existe aucun autre parent venant au même degré de parenté que lui, ou, si c’est le cas, qu’aucun d’eux n’est susceptible de s’opposer à l’exhumation sollicitée.
Le maire n’a pas à vérifier l’exactitude de cette attestation. En revanche, lorsqu’il a connaissance d’un désaccord sur cette exhumation exprimé par un ou plusieurs autres parents venant au même degré de parenté que le pétitionnaire, le maire doit refuser l’exhumation, en attendant le cas échéant que l’autorité judiciaire se prononce ». Le maire doit donc surseoir à statuer en cas de conflit, d’opposition à l’exhumation car seul le juge judiciaire peut se prononcer.

Le cas échéant, la responsabilité de la commune peut être engagée pour faute si le maire autorise une exhumation à la demande d’un membre de la famille qui n’est pas le plus proche parent (CAA Nantes, 30 mars 2020 : n°19NT01063).

Absence de compétence liée pour refuser l’exhumation

Pour refuser l’exhumation, le maire s’est appuyé sur une réponse ministérielle indiquant que « le maire ne peut pas délivrer d’autorisation d’exhumation pour extraire des ossements, même individualisés, de l’ossuaire » (Question écrite n°00131 de M. Yves Détraigne. Réponse publiée au JO Sénat du 23 août 2012, p.1878).
De son côté, la requérante soutient qu’il n’existe pas d’interdiction légale à procéder à l’exhumation de corps déposés dans un ossuaire. Elle pouvait s’appuyer sur un précédent jugement du même tribunal qui avait tranché en ce sens (en l’espèce, les restes avaient été exhumés d’une sépulture en terrain commun TA Nantes, 8 avril 2020 : n°1801255) :

« Il n’existe aucune disposition législative ou réglementaire faisant obligation au maire de refuser la demande par laquelle un membre de la famille du défunt demande à disposer de ses restes mortels inhumés dans l’ossuaire aménagé à cet effet »

En principe, le dépôt de restes mortuaires dans un ossuaire est définitif. Toutefois, dans certains cas, toute personne intéressée doit pouvoir « obtenir l’exhumation de corps de proches qui ont été déposés dans un ossuaire ».

💥 Si, le plus proche parent peut demander l’exhumation des restes de corps placés à l’ossuaire, le Conseil d’Etat a jugé toutefois en 2016 que le maire peut refuser légalement l’exhumation en cas d’impossibilité matérielle appréciée en fonction des circonstances de l’espèce (CE, 21 novembre 2016 : n°390298).

Dans l’affaire présente, et contrairement à la doctrine ministérielle, le juge considère que le maire n’est pas en situation de compétence liée pour refuser l’exhumation de corps de proches déposés dans un ossuaire. Et que seul un motif de police administrative (tel que la salubrité publique ou la décence dans les cimetières) peut fonder un refus.

Par conséquent, la décision par laquelle le maire a refusé l’exhumation des corps des parents de la requérante est annulée. Le tribunal enjoint au maire de procéder, dans un délai de deux mois, au réexamen de la demande d’exhumation.

🤪 En forme de clin d’œil à notre rubrique "Mieux vaut en rire" rappelons qu’un maire avait trouvé une solution originale pour pallier le manque de place dans le cimetière communal : il avait pris un arrêté interdisant de mourir sur la commune ! Plus récemment une autre maire a pris un arrêté municipal interdisant de mourir mais uniquement les week-ends et jours fériés pour dénoncer la pénurie de médecins en milieu rural...

Tribunal administratif de Nantes, 17 novembre 2021 : N°1908347 (PDF)

[1Photo : Einar Storsul sur Unsplash

[2CE, 9 mai 2005 : n°262977