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Fermeture des commerces dits non-essentiels : 2ème vague d’arrêtés municipaux suspendus par la justice

Dernière mise à jour le 13 novembre 2020

Plusieurs maires, inquiets des conséquences du confinement sur les petits commerces, ont pris des arrêtés de police tendant à autoriser l’ouverture de commerces dits non-essentiels. Les préfets ont systématiquement demandé le retrait de tels arrêtés, et ont saisi le juge des référés lorsque les maires n’ont pas obtempéré. Au 13 novembre près de 60 arrêtés municipaux ont ainsi été suspendus. En filigrane se posent aussi des questions de responsabilité. Décryptage.

 [1]

Dès l’annonce du 2nd confinement de nombreux maires, inquiets des conséquences économiques sur les petits commerçants, ont pris des arrêtés municipaux autorisant l’ouverture des commerces dits non essentiels et ce malgré les dispositions contraires du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020.

Les préfets ont immédiatement demandé aux maires des communes concernées de retirer ces arrêtés. Certains élus ont obtempéré, d’autres ont préféré maintenir leur arrêté. Sans surprise le juge des référés, lorsqu’il a été saisi, a systématiquement suspendu les arrêtés municipaux concernés [2]. Ainsi depuis le 2nd confinement nous avons recensé près de soixante arrêtés municipaux qui ont été suspendus par ordonnance du juge des référés (pour un suivi de ces arrêtés voir notre tableau de synthèse).

Sans surprise car d’une manière générale, le maire ne peut pas, au titre de son pouvoir de police, alléger des mesures prises au niveau national ou départemental. Le maire ne peut que durcir le dispositif, s’il existe des circonstances propres à la commune, mais ne peut pas l’alléger.

En outre, depuis la loi du 23 mars 2020 le législateur a institué une police spéciale donnant aux autorités de l’Etat mentionnées aux articles L. 3131-15 à L. 3131-17 la compétence pour édicter, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les mesures générales ou individuelles visant à mettre fin à une catastrophe sanitaire telle que l’épidémie de covid-19, en vue, notamment, d’assurer, compte tenu des données scientifiques disponibles, leur cohérence et leur efficacité sur l’ensemble du territoire concerné et de les adapter en fonction de l’évolution de la situation. Cela ne dessaisit pas le maire de son pouvoir de police générale mais ce pouvoir est encadré, comme l’a précisé le Conseil d’Etat dans son arrêt "Ville de Sceaux" (Conseil d’État, 17 avril 2020, N° 440057). Le maire ne peut durcir (et en aucun cas alléger) le dispositif national qu’à la double condition :
1° qu’il existe des circonstances propres à la commune rendent indispensables de manière impérieuse des mesures de police spécifiques ;
2° que les arrêtés municipaux ne nuisent pas à la cohérence des mesures prises, dans l’intérêt de la santé publique, par les autorités sanitaires compétentes.

Enfin il convient de rappeler que le maire ne peut utiliser son pouvoir de police générale que pour assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité ou la salubrité publiques. Or, les arrêtés litigieux sont souvent motivés par un souci d’équité avec les grandes surfaces et les difficultés économiques que le confinement engendre pour les petits commerçants. Des objectifs légitimes mais qui ne peuvent fonder juridiquement un arrêté de police.

Quelles sanctions ?

Les clients des commerces qui seraient restés ouverts sont verbalisables même si le maire a pris un arrêté autorisant l’ouverture. C’est le décret du 29 octobre 2020 qui prime. Rappelons que le non-respect des mesures de confinement entraine (article L3136-1 du code de la santé publique) :
 une amende de 135 euros, majorée à 375 euros (en cas de non-paiement ou de non-contestation dans le délai indiqué sur l’avis de contravention) ;
 en cas de récidive dans les 15 jours : une amende de 200 euros, majorée à 450 euros (en cas de non-paiement ou de non-contestation dans le délai indiqué sur l’avis de contravention) ;
 après 3 infractions en 30 jours : une amende de 3750 euros et une peine de 6 mois d’emprisonnement.

Les commerces ouverts en infraction encourent également une amende ainsi qu’une mesure de fermeture administrative sans pouvoir alors bénéficier des aides de l’État mises en œuvre pour compenser les difficultés qu’entraînent ces fermetures.

Si tel devait être le cas, certains commerçants sanctionnés pourraient être tentés de se retourner contre la commune estimant que celle-ci les a induits en erreur en prenant l’arrêté les autorisant à ouvrir. En cas de contamination démontrée dans un établissement qui aurait dû être fermé, des poursuites pénales dirigées contre le maire pour homicide ou blessures involontaires sont envisageables. Encore faudrait-il cependant démontrer un lien de causalité certain entre la faute commise par le maire (l’arrêté municipal autorisant l’ouverture d’un établissement en infraction au décret du 29 octobre) et la contamination, ce qui supposerait que la chaine de contamination soit clairement établie.

[1Photo : Viktor Forgacs sur Unsplash

[2TA Nîmes 13/11/2020, TA Amiens 12/11/2020, TA Orléans 10/11/2020, TA Toulouse 09/11/2020, TA Melun 09/11/2020, TA Poitiers 06/11/2020, TA Limoges 06/11/2020, TA Grenoble 04/11 et 06/11/2020, TA Montpellier 06/11/2020, TA Pau 06/11/2020, TA Lyon 06/11/2020, TA Nancy 06/11/2020, TA Lille 06/11/2020, TA Rennes 06/11/2020, TA Nantes 05/11/2020, TA Nice 05/11/2020, TA Bordeaux 05/11/2020, TA Besançon 05/11/2020, TA Dijon 05/11/2020, TA Montpellier 04/11/2020, TA Strasbourg 03/11/2020, TA Rouen 03/11/2020