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Usage par les collectivités de caméras thermiques pour le contrôle de la température corporelle : uniquement sur la base du volontariat

Tribunal administratif de Versailles, 22 mai 2020, n° 2002891

Une collectivité peut-elle contrôler par des caméras thermiques (fixes ou portatives) la température des agents, des usagers et des enfants scolarisés ?

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Oui répond le juge des référés du Tribunal administratif de Versailles sous réserve que les personnes soient informées du dispositif et puissent s’y soustraire... En effet il s’agit d’un traitement de données à caractère personnel concernant la santé au sens du règlement général sur la protection des données (RGPD). En l’espèce une commune avait installé une caméra fixe dans le hall d’accueil d’un bâtiment municipal et acheté des caméras thermiques portatives pour contrôler la température des enfants scolarisés et du personnel les encadrant. Le juge des référés considère que le traitement en cause n’est pas prohibé. Le RGPD réserve, en effet, le cas du consentement des personnes concernées par le traitement. Or :
 les agents n’ont pas l’obligation de se soumettre au contrôle (il s’agit d’une simple recommandation par note de service) ;
 s’agissant de la caméra fixe dans l’accueil d’un bâtiment, la configuration des locaux est telle que non seulement les personnes y entrant sont parfaitement informées de l’existence du dispositif et de ses effets, mais peuvent en toute connaissance de cause ne pas se situer dans le champ d’action de la caméra fixe. A cet effet, un marquage au sol a été mis en place ;
 il ne résulte d’aucune disposition de l’arrêté municipal qu’une prise de température préalable à une entrée au sein des locaux communaux présenterait un caractère obligatoire ;
 quant aux caméras portatives, leurs modalités de fonctionnement propres font par nature obstacle à toute prise de température imposée.

La commune de Lisses (91) installe une caméra fixe thermographique à l’entrée d’un bâtiment administratif qui regroupe les services communaux de la direction de la sécurité informatique, des ressources humaines, de la comptabilité et des sports, ainsi que les bureaux des services techniques.

Lorsqu’une personne (agent ou usager) se présente à une distance déterminée de la caméra, distance matérialisée au sol, un écran fixé sur le mur affiche alors un carré rouge ou vert, en fonction de la température relevée.

En complément, la commune utilise des caméras thermiques portatives dans les bâtiments scolaires et périscolaires, lors de l’accueil des enfants, aux fins de vérifier leur température ainsi que celle des personnels les encadrant.

Le dispositif consiste à capter par une opération automatisée la température corporelle des personnes se présentant devant la caméra installée à l’entrée du bâtiment ou passant dans le faisceau de la caméra portable activée par son utilisateur. Lorsque la personne passe dans le faisceau de la caméra fixe, un écran affiche un carré vert, indiquant une température normale, ou un carré rouge, indiquant une température anormale, lesdits carrés se superposant à une forme corporelle. Lorsqu’une personne passe dans le faisceau de la caméra portative, sa température maximale est indiquée, cette information étant accompagnée, elle aussi, de l’affichage d’une forme corporelle.

Un traitement de données personnelles soumis au RGPD

La Ligue des droits de l’Homme demande en référé le retrait de l’ensemble des caméras thermiques utilisées pour contrôler la température corporelle des agents et des administrés fréquentant les bâtiments et lieux gérés par l’administration, estimant notamment qu’un tel dispositif portait atteinte à la protection des données personnelles.

Pour sa défense la commune objecte que la prise de température ainsi opérée ne présente pas le caractère d’un « traitement » ni ne saurait davantage être qualifiée de « donnée », dès lors que l’usage qui est fait des appareils ne conduit pas à l’identification des personnes ni ne donne lieu à enregistrement, le matériel ne comportant pas de carte de stockage.

Peu importe répond le juge des référés : le règlement du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (dit RGPD) s’applique bien à ce type de dispositif.

« L’ensemble des informations et images qui s’affichent à l’écran, fixe ou mobile, est susceptible d’engendrer l’utilisation de données à caractère personnel et doit ainsi être regardé comme un "traitement". »

En effet, poursuit le juge des référés, ces matériels ne comportent aucun dispositif technique de nature à éviter, dans tous les cas, que les informations recueillies puissent conduire, au bénéfice d’un autre usage que celui actuellement pratiqué, à rendre les personnes auxquelles elles se rapportent identifiables, compte tenu notamment de la forme corporelle qui s’affiche sur l’écran. On retrouve ici le raisonnement qu’avait suivi le Conseil d’Etat pour prohiber l’usage des drones pour surveiller la voie publique tant qu’un arrêté ou décret ministériel n’aura pas été pris sur le sujet après avis de la CNIL, ou tant que les drones ne seront sont pas dotés d’un dispositif de nature à rendre impossible l’identification des personnes filmées.

Uniquement sur la base du volontariat

Pour autant le juge des référés ne fait pas droit à la demande de la Ligue des Droits de l’Homme. En effet le juge relève que le dispositif repose sur le volontariat :

1° Il résulte de notes de service qu’il est simplement recommandé aux agents de se soumettre aux contrôles qui ne présentent pas de caractère obligatoire.

2° S’agissant de la caméra fixe, à l’entrée du bâtiment, une signalétique au sol identifie de manière très visible le lieu où s’effectue la prise de température. Un panneau d’affichage indique également que l’utilisateur du bâtiment entre dans une zone de prise de température. Or, compte tenu de la configuration des locaux, suffisamment large pour pénétrer dans le bâtiment sans passer dans le faisceau de prise de température, il est tout à fait loisible aux agents, clairement informés du dispositif, d’entrer dans les locaux sans avoir à se soumettre à une prise de température.

3° Il ne résulte d’aucune des dispositions de l’arrêté du maire, relatif à l’accès aux équipements et bâtiments municipaux, qu’une prise de température préalable à une entrée en leur sein présenterait un caractère obligatoire.

4° Quant aux caméras portatives, leurs modalités de fonctionnement propres font par nature obstacle à toute prise de température imposée. En tout état de cause, il n’est ni établi ni même allégué qu’une prise de température opérée du fait de leur utilisation n’aurait pas donné lieu au consentement préalable des parents des enfants, avant l’entrée dans les bâtiments scolaires et périscolaires, et des personnels les encadrant.

« Ainsi, eu égard au caractère volontaire que revêt en l’espèce la prise de température corporelle, le dispositif de caméra fixe en cause ne méconnaît pas le principe d’interdiction posé par les dispositions de l’article 9 précité du règlement général sur la protection des données. »

A plusieurs reprises le juge des référés du tribunal administratif insiste ainsi sur le caractère volontaire de la soumission au dispositif pour justifier sa légalité. Un paramètre à prendre en compte avant de se lancer dans un investissement qui peut être relativement lourd.

[1Photo : Bernard Hermant sur Unsplash