Un maire peut-il, avant toute expertise, ordonner l’arrêt d’une centrale hydraulique sur la seule foi d’un rapport alarmant de la DDE faisant état d’un risque majeur consécutif à des mouvements de terrain ?
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La direction départementale de l’équipement (DDE) constate des désordres sur une voie départementale dans une portion longeant un canal alimentant à partir du Lot, une micro-centrale hydroélectrique exploitée par une société.
Par une lettre du 2 octobre 2000, faisant suite à un précédent courrier et aux rapports établis par des bureaux d’études, le directeur départemental de l’équipement indique au maire de la commune (72 habitants) que les désordres affectant le site de la micro-centrale exploitée connaissent une évolution très alarmante du fait de la persistance de mouvements de terrains. Il ajoute que le risque pour les personnes présentes est important et qu’il est aggravé par le fonctionnement de la centrale, la masse d’eau mise en mouvement par la turbine étant susceptible, en cas d’affaissement brutal, d’entraîner la formation d’une vague dont les conséquences seraient dramatiques.
Onze jours plus tard, le maire prend un arrêté interdisant la poursuite de l’exploitation en se fondant sur les dispositions de l’article L. 2212-4 du CGCT aux termes duquel, « en cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels prévus au 5° de l’article L. 2212-2 [2]. , le maire prescrit l’exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances ».
Mais l’expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif conclut [3] à l’absence de tout risque d’effondrement de la centrale. Compte-tenu des risques majeurs soulignés par le rapport initial de la DDE, le maire hésite à lever son arrêté d’interdiction. Après diverses consultations, il abroge son arrêté en septembre 2001, soit six mois après le rapport préliminaire de l’expert excluant tout danger.
La position des juges du fond
Par jugement en date du 10 avril 2003, le tribunal administratif annule l’arrêté du maire pris 3 ans plus tôt et condamne la commune à verser une indemnité de 20 000 euros à l’exploitant. Pour le tribunal, le maire a commis une faute lourde en maintenant la mesure d’interdiction au-delà du 6 mars 2001, date à laquelle son inutilité avait été révélée par l’expert.
La Cour administrative d’appel de Bordeaux porte le montant de l’indemnité allouée à la société à 116 883,42 euros en jugeant que l’illégalité de l’arrêté du 13 octobre 2000 avait engagé la responsabilité de la commune, sur le terrain de la faute simple, dès la date de sa signature [4] !
La position du Conseil d’Etat
Le Conseil d’Etat censure cette position :
– certes « une mesure de police n’est légale que si elle est nécessaire au regard de la situation de fait existant à la date à laquelle elle a été prise, éclairée au besoin par des éléments d’information connus ultérieurement » ;
– « toutefois, lorsqu’il ressort d’éléments sérieux portés à sa connaissance qu’il existe un danger à la fois grave et imminent exigeant une intervention urgente qui ne peut être différée l’autorité de police ne commet pas d’illégalité en prenant les mesures qui paraissent nécessaires au vu des informations dont elle dispose à la date de sa décision » ;
– « la circonstance que ces mesures se révèlent ensuite inutiles est sans incidence sur leur légalité mais entraîne l’obligation de les abroger ou de les adapter » ;
Le maire n’a donc pas commis de faute en prenant l’arrêté dès lors que la décision a été prise au vu d’éléments sérieux faisant apparaître l’existence d’un danger à la fois grave et imminent exigeant une intervention urgente, sans qu’il fût possible d’attendre les résultats d’investigations complémentaires. Peu importe que le rapport de l’expert ait démontré, après coup, qu’à la date à laquelle le maire a prescrit l’arrêt de l’exploitation de la centrale, cette dernière ne constituait pas un danger grave ou imminent pour la sécurité publique.
Après avoir écarté l’application de la procédure de péril prévue par les dispositions de l’article L. 511-1 du code de la construction et de l’habitation [5], le Conseil d’Etat n’en retient pas moins la responsabilité de la commune.
En effet « si la mesure prise légalement le 13 octobre 2000, au vu d’informations sérieuses relatives à l’existence d’un danger grave et imminent, ne saurait engager la responsabilité pour faute de la commune (…) en revanche, en maintenant l’interdiction de faire fonctionner la micro-centrale hydroélectrique au delà du 6 mars 2001, date à laquelle l’expert désigné par le tribunal administratif a communiqué aux parties une note faisant apparaître que cet établissement ne présentait aucun désordre et que son fonctionnement ne menaçait pas la sécurité, le maire de Crégols a commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune à l’égard de la société ». Eu égard au délai de remise en route de l’exploitation, la société peut prétendre à une indemnité évaluée à 35 000 euros couvrant les pertes nettes de recettes d’exploitation subies postérieurement au 15 mars 2001 [6].
Conseil d’État, 31 août 2009, N° 296458
[1] Photo : © Vinnikava Viktoryia
[2] accidents et fléaux calamiteux, pollutions de toute nature, incendies, inondations, ruptures de digues, éboulements de terre ou de rochers, avalanches ou autres accidents naturels..
[3] dans un rapport préliminaire déposé le 6 mars 2001 puis dans un rapport définitif déposé le 12 février 2002
[4] et donc sans attendre l’avis de l’expert
[5] dès lors que que les désordres qui ont motivé l’intervention de cet arrêté avaient une cause extérieure à l’immeuble
[6] soit 9 jours après la remise du rapport préliminaire de l’expert pour tenir compte du délai de remise en route de l’exploitation