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Harcèlement moral et protection fonctionnelle : l’administration peut décider d’arrêter les frais si elle dispose d’éléments nouveaux

Conseil d’État, 1er octobre 2018, N° 412897

L’administration peut-elle revenir sur sa décision d’accorder la protection fonctionnelle à un agent prétendant être victime de harcèlement si de nouveaux éléments apparaissent en cours de procédure ?

 [1]

Oui mais uniquement pour l’avenir :
 sauf hypothèse de fraude, l’octroi de la protection fonctionnelle est créatrice de droits et ne peut être retirée au delà du délai de quatre mois. L’administration ne peut donc demander à un agent le remboursement des frais déjà engagés ;
 en revanche l’administration est en droit de réviser sa position pour l’avenir en cours de procédure si elle dispose d’éléments nouveaux qui sont de nature à modifier son appréciation.

Ainsi l’administration peut réexaminer sa position et mettre fin à la protection si elle estime, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, que les éléments révélés par l’instance, et ainsi nouvellement portés à sa connaissance, permettent de regarder les agissements de harcèlement allégués comme n’étant pas établis. Cependant l’intervention d’une décision juridictionnelle non définitive constatant l’absence de harcèlement ne suffit pas, en elle-même, à retenir que les faits de harcèlement allégués à l’appui de la demande de protection ne sont pas établis.

Un cadre du Conseil économique, social et environnemental, mécontent d’une évaluation négative de sa manière de servir, porte plainte contre le président et le secrétaire général pour harcèlement moral. Parallèlement il recherche la responsabilité de l’Etat devant les juridictions administratives. Il obtient le bénéfice de la protection fonctionnelle de la part de son administration qui lui rembourse les honoraires d’avocats engagés dans le cadre de ces deux procédures.

Mais le tribunal administratif rejette la requête indemnitaire de l’intéressé estimant que les faits invoqués ne caractérisaient pas des agissements de harcèlement moral. Au pénal, une ordonnance de non lieu est rendue au bénéfice des deux personnes mises en examen. Le plaignant exerce un recours contre ces deux décisions, ce qui nécessité le paiement de nouveaux honoraires.

S’appuyant sur le jugement du tribunal administratif, le président du Conseil économique, social et environnemental décide d’arrêter les frais : l’administration ne prendra en charge ni les frais exposés à l’avenir par le plaignant à l’occasion de la poursuite de la procédure devant le juge administratif, ni le montant de 3 000 euros correspondant à la consignation afférente à sa constitution de partie civile devant le juge pénal.

Retrait interdit, abrogation possible

Le tribunal administratif annule cette décision, mais la cour administrative d’appel donne partiellement raison à l’administration [2].

Le pourvoi offre l’occasion au Conseil d’Etat de rappeler et préciser sa jurisprudence. Il en avait en effet déjà jugé que :

 l’octroi de la protection fonctionnelle est une décision créatrice de droits qui ne peut être retirée que dans le délai de quatre mois, sauf si elle a été obtenue par fraude [3] ;

 l’administration peut mettre un terme à la protection pour l’avenir si elle constate postérieurement à son octroi, sous le contrôle du juge, l’existence d’une faute personnelle à l’encontre de l’agent poursuivi [4].

Il confirme ici sa position et l’étend par un attendu synthétique :

"si le caractère d’acte créateur de droits de la décision accordant la protection prévue par les dispositions précitées fait obstacle à ce que l’administration puisse légalement retirer, plus de quatre mois après sa signature, une telle décision, hormis dans l’hypothèse où celle-ci aurait été obtenue par fraude, l’autorité administrative peut mettre fin à cette protection pour l’avenir si elle constate à la lumière d’éléments nouvellement portés à sa connaissance que les conditions de la protection fonctionnelle n’étaient pas réunies ou ne le sont plus, notamment si ces éléments permettent de révéler l’existence d’une faute personnelle ou que les faits allégués à l’appui de la demande de protection ne sont pas établis".

Les règles sont donc très claires :

1° L’octroi de la protection fonctionnelle est une décision créatrice de droits qui ne peut être retirée que dans le délai de quatre mois ;

2° Passé ce délai, l’administration ne peut retirer sa décision et demander le remboursement des sommes déjà réglées sauf si la protection fonctionnelle a été obtenue par fraude ;

3° En revanche rien n’interdit à l’administration de revoir sa position pour l’avenir et d’arrêter les frais en abrogeant sa décision si elle dispose d’éléments nouveaux, soit qu’ils permettent de révéler l’existence d’une faute personnelle [5], soit que les faits allégués à l’appui de la demande de protection ne sont pas établis [6].

La nécessité d’éléments nouveaux

Le Conseil d’Etat ajoute :

- "la seule intervention d’une décision juridictionnelle non définitive ne retenant pas la qualification de harcèlement ne suffit pas, par elle-même, à justifier qu’il soit mis fin à la protection fonctionnelle".
 
- "cependant l’administration peut réexaminer sa position et mettre fin à la protection si elle estime, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, que les éléments révélés par l’instance, et ainsi nouvellement portés à sa connaissance, permettent de regarder les agissements de harcèlement allégués comme n’étant pas établis".

Autrement dit le seul fait que l’agent n’ait pas obtenu gain de cause dans un jugement qui est encore susceptible de recours ne suffit pas, à lui seul, à permettre à l’administration de revoir sa position. En revanche l’administration peut s’appuyer sur des éléments nouveaux révélés par la procédure et qui sont de nature à modifier son appréciation.


A tout moment ?

Dans ses conclusions relatives à cette affaire [7] le rapporteur public Gilles Pellissier, prend le contrepied de la circulaire du 5 mai 2008 relative à la protection fonctionnelle des agents publics de l’Etat qui préconise que "la protection fonctionnelle doit être demandée à chaque étape de la procédure (première instance, appel, cassation), car sa prolongation n’est pas acquise automatiquement".

En effet pour le rapporteur public la solution qui consisterait à limiter la protection par phase de la procédure "serait à la fois compliquée pour l’administration qui devrait veiller à prendre une nouvelle décision et source d’insécurité pour l’agent qui ne serait jamais certain de pouvoir poursuivre son action".

Gilles Pélissier ajoute que l’administration ne doit pas pouvoir revoir sa position à tout moment sous peine d’interrompre la protection au cours d’une instance mais doit pouvoir le faire "à chaque phase de l’action, c’est-à-dire à chaque moment où la poursuite de l’action est subordonnée à une décision de l’agent".

Ajoutons que l’article 3 du Décret n° 2017-97 du 26 janvier 2017 (relatif aux conditions et aux limites de la prise en charge des frais exposés dans le cadre d’instances civiles ou pénales par l’agent public ou ses ayants droit) dispose que la décision d’octroi de la protection fonctionnelle "précise les modalités d’organisation de la protection, notamment sa durée qui peut être celle de l’instance".


Quid en cas de poursuites pénales ?

Le raisonnement est identique lorsqu’un agent sollicite le bénéfice de la protection fonctionnelle à la suite de poursuites pénales dont il est l’objet : l’administration ne peut se fonder sur la condamnation de l’agent pour lui demander le remboursement des sommes déjà réglées mais pourra revoir sa position pour l’avenir si elle dispose d’éléments nouveaux lui permettant de caractériser à l’encontre de l’agent une faute personnelle.

L’occasion de rappeler également que l’administration n’est pas tenue par le principe de présomption d’innocence [8] et peut décliner la protection sans attendre l’issue de la procédure si elle dispose d’éléments lui permettant d’apprécier que l’agent a commis une faute personnelle. Et elle n’est pas plus tenue, avant de prendre sa décision, de procéder à une enquête contradictoire [9]. D’où l’intérêt pour les élus et les fonctionnaires de souscrire un contrat d’assurance personnel qui les couvre dans l’exercice de leurs fonctions...

Conseil d’État, 1er octobre 2018, N° 412897

[1Photo : @pawel_czerwinski sur Unsplash

[2La cour administrative d’appel valide le refus de protection s’agissant de l’action ouverte devant le juge administratif mais l’invalide s’agissant des poursuites exercées devant le juge pénal.

[3Conseil d’Etat, 22 janvier 2007, n° 285710

[4Conseil d’Etat 14 mars 2008 N° 283943

[5Ce point avait déjà été acté par le Conseil d’Etat par une jurisprudence précédente op. cit.

[6Ce point constitue une nouveauté qui trouve particulièrement à s’appliquer en matière de harcèlement moral

[7Bulletin juridique des collectivités locales, n°11/18 p.793

[8Conseil d’Etat, 12 février 2003, N° 238969

[9Conseil d’Etat, 28 décembre 2001, N° 213931