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Eclairage de la voie publique : la sécurité des usagers prime sur les considérations écologiques et les contraintes économiques

Tribunal administratif de Pau, 23 mai 2018, N° 1602500

Une commune peut-elle engager sa responsabilité pour un accident survenu à un collégien traversant de nuit un passage piétons si elle a volontairement coupé l’éclairage public ?

Oui si la zone est dangereuse et que le défaut d’éclairage a joué un rôle causal aggravant dans l’accident. Est ainsi déclarée responsable de la mort d’un collégien, une commune qui a programmé l’éclairage public sur un créneau horaire n’assurant pas la sécurité des usagers de l’arrêt de bus (l’accident était survenu en l’espèce dix minutes après l’expiration de la période d’éclairage et alors qu’il faisait encore nuit). Les juges retiennent à la charge de la commune un défaut d’entretien normal de l’ouvrage public bien que l’accident soit survenu sur une route départementale hors agglomération. En effet, relèvent les juges, le lampadaire a été installé pour l’éclairage du passage piétons à la demande et aux frais de la commune, et ce sont les services techniques de la commune qui fixaient la plage horaire d’allumage du lampadaire et réglaient l’horloge. La faute du conducteur qui connaissait les lieux et leur dangerosité exonère cependant la commune à hauteur de 80 %. Ce jugement met en lumière les potentielles recherches en responsabilités à l’encontre des communes qui, pour des impératifs écologiques et/ou économiques, interrompent volontairement l’éclairage public toute ou partie de la nuit. Les zones dangereuses (comme les arrêts de bus scolaires aux heures de ramassage, virages dangereux...) doivent rester correctement éclairées pour assurer la sécurité des usagers. Pour reprendre les termes d’une réponse ministérielle, il "appartient au maire de rechercher un juste équilibre entre les objectifs d’économie d’énergie et de sécurité afin de déterminer les secteurs de la commune prioritaires en matière d’éclairage public au regard des circonstances locales".

 [1]

En décembre 2013 à 7h40 (précision qui a son importance), un jeune collégien est mortellement renversé par un véhicule alors qu’il traverse une route départementale sur un passage pour piétons dans une commune des Pyrénées-Atlantiques (moins de 10 000 habitants) pour prendre son bus scolaire.

L’assureur automobile du conducteur auteur de l’accident se retourne contre la commune et contre le syndicat d’énergie en charge de l’entretien de l’éclairage.

En effet le lampadaire qui devait éclairer le passage piétons ne fonctionnait pas au moment de l’accident. Non pas qu’il était en panne mais que la plage horaire d’allumage avait été programmée de 18h00 à 7h30. L’accident est survenu 10 minutes après l’extinction du lampadaire mais alors qu’il faisait encore nuit.

Entendue par les services de police, la directrice générale des services (DGS) de la commune précise que le lampadaire en cause a été installé pour l’éclairage du passage piétons à la demande et aux frais de la commune bien qu’il s’agisse d’une route départementale.

Si le conseil municipal, par délibération du 21 novembre 2011, a approuvé le transfert au syndicat d’énergie de la compétence optionnelle relative à l’entretien d’installations d’éclairage public, la convention relative aux modalités de participation financière des communes au service d’entretien de l’éclairage public conclue le 20 mars 2012 (soit quatre mois après le transfert de compétences) entre la commune et le syndicat prévoit que la prestation d’entretien concerne le remplacement préventif régulier des sources lumineuses ainsi que les interventions en cas de panne déclarée par la commune.

La responsabilité du syndicat d’énergie écartée, la responsabilité de la commune engagée

Mais aucune panne n’affectait en l’espèce le lampadaire. La responsabilité du syndicat d’énergie ne peut donc être retenue.

En revanche le tribunal administratif retient la responsabilité de la commune pour défaut d’entretien normal de l’ouvrage public. En effet l’allumage du lampadaire était commandé par une horloge située dans un boîtier électrique qui commandait également aux mêmes heures l’éclairage extérieur de la résidence implantée aux abords immédiats du lieu de l’accident. Un procès-verbal d’audition du directeur des services techniques de la commune par les services de police, mentionne ainsi que ce sont les services de la commune qui fixaient la plage horaire d’allumage du lampadaire et réglaient ladite horloge.

Peu importe à cet égard que le passage piétons était bien signalé par des panneaux réglementaires. En effet le rapport d’un expert judiciaire en
accidentologie des transports a conclu que le défaut d’éclairage du passage pour piétons sur lequel s’était engagé la victime alors qu’il faisait nuit constitue l’élément aggravant de l’accident.

Ainsi, le défaut de fonctionnement du lampadaire en cause, lequel constitue un accessoire de la route à l’égard de laquelle la victime avait la qualité d’usager, et qui est imputable à l’accident de ce dernier, constitue un défaut d’entretien normal de cet ouvrage de nature à engager la responsabilité de la commune.

Excès de diligences pour la commune !

Pourtant, faut-il le rappeler, l’accident s’est produit sur une route départementale hors agglomération. De fait le tribunal s’appuie sur cette circonstance pour écarter à juste titre toute responsabilité de la commune au titre d’une défaillance du pouvoir de police du maire.

En effet ce n’est qu’en agglomération que le maire est compétent pour exercer le pouvoir de police y compris sur des voies qui ne sont pas communales. Ainsi la responsabilité d’une commune a déjà été retenue suite à une défaillance de l’éclairage public en agglomération sur une route départementale, les juges relevant [2] que le maire devait veiller au bon éclairage des voies publiques situées dans l’agglomération communale sans pouvoir invoquer, pour s’exonérer, la défaillance ni de la société chargée par elle, aux termes d’un contrat d’entretien, de veiller au bon fonctionnement du réseau d’éclairage, ni d’Electricité de France, qui n’aurait pas été en mesure de rétablir la ligne électrique alimentant le lampadaire défectueux.

Pour revenir à notre cas d’espèce, le tribunal administratif sanctionne implicitement en quelque sorte un excès de diligences de la commune. En effet, si aucun éclairage n’avait été installé sur le passage piétons, en aucun cas la responsabilité de la commune n’aurait pu être retenue sur une voie départementale hors agglomération ! Ni pour défaillance dans l’exercice des pouvoirs de police, ni pour défaut d’entretien normal de l’ouvrage public puisque la voie était départementale.

Il est à cet égard jugé sans incidences que les propriétaires de la résidence avaient accès au boîtier électrique qui commandait l’horloge de programmation des heures de fonctionnement du lampadaire.

En revanche les juges retiennent la faute du conducteur, lequel a été condamné au pénal pour homicide involontaire à quatre mois d’emprisonnement avec sursis, pour exonérer la commune à hauteur de 80 % : le défaut d’éclairage public aurait dû d’autant plus inciter l’automobiliste à redoubler de vigilance et à ralentir, que résidant sur une commune voisine, il connaissait nécessairement la dangerosité des lieux.

La question de la responsabilité des collectivités qui interrompent volontairement l’éclairage public dans le cadre de la prévention des nuisances lumineuses

En tout état de cause ce jugement, s’il devait être confirmé, met en lumière les potentielles recherche en responsabilité des communes qui, pour des raisons écologiques et/ou économiques, interrompent volontairement l’éclairage public tout ou partie de la nuit. Le maintien de l’éclairage sur les points sensibles (virages dangereux, arrêts de bus aux heures de ramassage, sortie d’établissements nocturnes...) se pose, l’éclairage public constituant l’un des moyens de signaler les dangers.

Ainsi dans une autre espèce, la cour administrative d’appel de Marseille (suivre le lien proposé en fin d’article) avait retenu la responsabilité d’une commune rurale suite à la chute d’un touriste dans un caniveau au cours d’une ballade nocturne entre amis, faute pour la collectivité de pouvoir établir que la ruelle où s’est déroulé l’accident aurait été éclairée à l’heure de celui-ci alors que les témoignages des personnes accompagnant la victime faisaient état d’une complète obscurité. Et les juges de conclure que « même si un village de montagne de Corse, faiblement peuplé (...), ne peut raisonnablement supporter, en matière de voirie, les mêmes obligations que des localités plus importantes, il appartenait à tout le moins aux services municipaux de mettre en place une signalisation visible de nuit avertissant les usagers au sujet des dangers présentés par les ruelles et par les caniveaux qui courent le long de celles-ci ».

De fait, si aucune disposition législative ou réglementaire n’impose aux collectivités territoriales une obligation générale et absolue d’éclairage de l’ensemble des voies de la commune, il reste que le juge administratif examine, en fonction du cas d’espèce, si l’absence ou l’insuffisance d’éclairage public est constitutive d’une carence de l’autorité de police à l’origine d’un dommage susceptible d’engager la responsabilité de la commune. Ainsi, pour reprendre les termes d’une réponse ministérielle [3], il "appartient au maire de rechercher un juste équilibre entre les objectifs d’économie d’énergie et de sécurité afin de déterminer les secteurs de la commune prioritaires en matière d’éclairage public au regard des circonstances locales".

Tribunal administratif de Pau, 23 mai 2018, N° 1602500

[1Photo : par Edwin Andrade via Unsplash

[2Cour administrative d’appel de Douai, 18 mai 2004, N° 01DA00001

[3Réponse du 1er mai 2015 à la Question écrite n° 14883 de M. Claude Raynal