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Conseiller intéressé et prise illégale d’intérêts : différences d’approche du juge administratif et du juge répressif

Conseil d’État, 12 octobre 2016, N° 387308

La participation d’un conseiller municipal au vote d’une délibération à laquelle il est intéressé vicie-t-elle automatiquement la délibération litigieuse ?

Non encore faut-il que l’intérêt de l’élu soit distinct de celui de la généralité des habitants et qu’il ait exercé une influence effective sur la délibération. En l’espèce il était reproché à une conseillère municipale d’avoir participé aux débats et au vote d’une délibération modifiant le PLU de la commune ayant notamment pour effet de rendre possible l’extension d’une grande surface gérée par son conjoint. Le Conseil d’Etat confirme néanmoins que la délibération n’est pas nulle pour autant, la conseillère municipale n’ayant pas joué un rôle actif dans les débats et n’ayant pas exercé une influence effective sur la délibération.

Attention à ne pas tirer de conclusions hâtives de cet arrêt qui s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence du Conseil d’Etat sur la notion de conseiller intéressé. En effet cette approche pragmatique n’est pas partagée par le juge pénal saisi dans le cadre de poursuites contre un élu sur le fondement de l’article 432-12 du code pénal réprimant la prise illégale d’intérêts : le juge répressif ne recherche aucunement si l’intérêt de l’élu est distinct de celui de la généralité des habitants, ou si le élu a exercé une influence effective sur la délibération. La seule participation de l’élu aux débats et/ou au vote peut suffire à caractériser le délit même si l’intérêt de l’élu coïncide avec celui de la collectivité et si la participation de l’élu n’a pas joué un rôle déterminant dans la prise de décision. Quand on ajoute qu’un intérêt "quelconque"suffit à la caractérisation de l’infraction, on aura compris que la règle de prudence la plus élémentaire en pareille situation reste pour les élus intéressés de ne participer ni au vote, ni aux débats, ni à l’instruction du dossier.

Une commune approuve un nouveau plan local d’urbanisme qui a notamment pour effet d’autoriser le déplacement et l’extension d’une grande surface.

Un opposant au projet introduit un recours devant le tribunal administratif pour obtenir l’annulation pour excès de pouvoir de la délibération. Il expose notamment qu’une conseillère municipale n’est autre que l’épouse du gérant de la grande surface et ne pouvait donc, comme elle l’a fait participer ni au vote de la délibération, ni aux débats et à l’instruction du projet.

Peu importe répond le juge administratif qui applique sa jurisprudence bien établie sur la notion de conseiller intéressé. L’occasion pour le Conseil d’Etat de rappeler ainsi que :

1° il résulte des dispositions de l’article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales que la participation au vote permettant l’adoption d’une délibération d’un conseiller municipal intéressé à l’affaire qui fait l’objet de cette délibération, c’est-à-dire y ayant un intérêt qui ne se confond pas avec ceux de la généralité des habitants de la commune, est de nature à en entraîner l’illégalité ;

2° de même, sa participation aux travaux préparatoires et aux débats précédant l’adoption d’une telle délibération est susceptible de vicier sa légalité, alors même que cette participation préalable ne serait pas suivie d’une participation à son vote, si le conseiller municipal intéressé a été en mesure d’exercer une influence sur la délibération.

Et le Conseil d’Etat d’ajouter que "cependant, s’agissant d’une délibération déterminant des prévisions et règles d’urbanisme applicables dans l’ensemble d’une commune, la circonstance qu’un conseiller municipal intéressé au classement d’une parcelle ait participé aux travaux préparatoires et aux débats précédant son adoption ou à son vote n’est de nature à entraîner son illégalité que s’il ressort des pièces du dossier que, du fait de l’influence que ce conseiller a exercée, la délibération prend en compte son intérêt personnel".

L’emploi de l’adverbe "cependant" peut induire en erreur en laissant penser qu’il s’agit d’un régime dérogatoire aux principes sus-mentionnés. Il n’en est rien puisque le Conseil d’Etat vérifie toujours que le conseiller municipal a exercé une influence effective sur la délibération prise par le conseil municipal. De fait, en l’espèce, si la conseillère municipale a bien pris part au vote lors de la séance du 16 décembre 2010 au cours de laquelle ce plan a été approuvé, le Conseil d’Etat relève qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que cette conseillère aurait pris une part active aux débats relatifs à ce plan. La délibération litigieuse n’est donc pas entachée d’irrégularité sur ce point.

Attention à ne pas tirer de conclusions hâtives de cet arrêt qui s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence du Conseil d’Etat sur la notion de conseiller intéressé. En effet cette approche pragmatique n’est pas partagée par le juge pénal saisi dans le cadre de poursuites contre un élu sur le fondement de l’article 432-12 du code pénal réprimant la prise illégale d’intérêts : le juge répressif ne recherche aucunement si l’intérêt de l’élu est distinct de celui de la généralité des habitants, ou si l’élu a exercé une influence effective sur la délibération. La seule participation de l’élu aux débats et/ou au vote peut suffire à caractériser le délit même si l’intérêt de l’élu coïncide avec celui de la collectivité et si la participation de l’élu n’a pas joué un rôle déterminant dans la prise de décision. Quand on ajoute qu’un intérêt "quelconque" suffit à la caractérisation de l’infraction, on aura compris que la règle de prudence la plus élémentaire en pareille situation reste pour les élus intéressés de ne participer ni au vote, ni aux débats, ni à l’instruction du dossier.

Conseil d’État, 12 octobre 2016, N° 387308